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par Kosciusko, Ignace Potocki, Kollontay. L’insurrection avait éclaté, les Russes avaient été chassés de Varsovie, et la révolution se trouvait presque miraculeusement accomplie. Niemcewicz accourut aussitôt à l’action et au péril.

C’était une révolution sans avenir peut-être; elle n’a pas moins un intérêt puissant par son caractère, par ses mobiles et ses personnifications. Elle a surtout cela de curieux que pour la première fois le peuple entre en scène dans ce drame des destinées de la Pologne. Les chefs de l’insurrection de Varsovie étaient des bourgeois, mieux encore, des ouvriers, le boucher Sierawski, le cordonnier Kilinski, — le roi Kilinski, — comme l’appelaient avec ironie les Russes. Kilinski est un des personnages originaux du temps; c’est lui qui donne le signal du combat, il descend dans la rue après avoir communié. C’est un homme naïf, d’un bon sens énergique, d’une imagination colorée de poésie naturelle, ardemment patriote, sans haine d’ailleurs et nullement sanguinaire; il ne donne la mort que par nécessité de combat, et, dans des mémoires qu’il a laissés, il a des expressions singulières pour caractériser cette nécessité : il appelle cela, apaiser des officiers russes, tranquilliser des Cosaques. Le gouverneur russe de Varsovie le fit venir, et, croyant l’intimider, il entr’ouvrit son manteau pour montrer au cordonnier les décorations constellant sa poitrine. «Regarde, bourgeois, et tremble! lui dit-il. — Monseigneur, répondit le cordonnier, je vois chaque nuit dans le ciel des étoiles innombrables, et je ne tremble pas. » La présence de Kilinski dans le gouvernement provisoire de Varsovie était un phénomène assurément nouveau. Le chef même de cette révolution, Thadée Kosciusko, se sentait l’homme du peuple combattant pour le peuple; il portait volontiers la casaque du paysan. Ce n’était pas un grand homme dans le sens éclatant du mot, c’était une âme ferme, droite et sobre, se dévouant simplement à sa patrie. Malheureusement pour la révolution polonaise, le plus difficile n’était pas de vaincre par surprise; elle avait à s’organiser et à se défendre dans le cercle de feu où elle était enfermée par les Russes et les Prussiens. Dombrowski, celui qui devait être le chef des légions polonaises, était chargé de tenir tête aux Prussiens; Kosciusko restait pour faire face à Suvarov, qui s’avançait, et au général russe Fersen, qui manœuvrait sur la Vistule pour revenir sur Varsovie. Ce n’était plus le temps de délibérer et d’écrire; Niemcewicz se faisait soldat volontaire, aide-de-camp de Kosciusko. Le 6 octobre 1794, ils quittaient tous les deux Varsovie en secret et partaient pour l’armée; trois jours après, ils étaient à Macieiowice, point de réunion des forces polonaises, qui ne s’élevaient pas à plus de six ou sept mille hommes pour rompre les épais bataillons russes. On touchait au dénoûment, les deux ar-