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Dans cette mission, déjà rendue presque impossible par tant de retards, quelle instruction positive a reçue le maréchal Grouchy ? C’est sans doute un général plein de bravoure et de bonne volonté, mais il peut être au-dessous de sa tâche, il le craint du moins. Et qu’a-t-on fait pour l’éclairer, le rassurer, le diriger dans cette profonde nuit où il se trouve abandonné à ses seules lumières ? Napoléon a partagé d’abord l’illusion que les Prussiens se retiraient par Namur sur la Meuse, et l’on ne voit pas qu’il ait rien fait pour détruire cette idée dans le maréchal Grouchy. Lorsque ce général pressait ses instructions dans cette nuit inextricable de Gembloux, qu’y trouvait-il ? L’ordre de poursuivre les Prussiens : rien de plus ; mais dans quelle direction les chercher de préférence ? Quelle peut être l’intention du général ennemi ? De quel côté était, sinon le certain, au moins le probable ? C’est là que Grouchy aurait eu besoin d’être guidé par les lumières supérieures de Napoléon ; mais sur tout cela Napoléon l’a livré à lui-même, sans lui donner aucune impulsion, aucune lueur pour s’orienter au milieu des incertitudes croissantes qui vont l’assaillir.

Il est vrai que, selon les relations de Sainte-Hélène, l’ordre aurait été donné à Grouchy de se tenir sur une ligne intermédiaire entre l’armée française et l’armée prussienne. Or c’est là ce que le maréchal Grouchy a nié péremptoirement, avec une persistance, un acharnement singulier jusqu’à la fin de sa vie, dans cette foule d’écrits, de notes de tout genre, où il n’a cessé de protester contre les récits de Sainte-Hélène. J’ai vu des notes manuscrites dont le maréchal couvrait ses livres ; il revient constamment sur ce point : « que l’ordre donné le 17 était uniquement de poursuivre les Prussiens, qu’on les croyait en retraite sur la Meuse. Je ne sache pas, ajoute-t-il dans les confidences qu’il semble se faire à lui-même, que je pusse poursuivre les Prussiens et me lier avec l’empereur. »

Le maréchal Grouchy ne sort pas de là ; toute sa vie il a répété la même chose avec une insistance qui a tous les caractères de la conviction et de la vérité, et il faut avouer que l’on ne trouve aucune trace d’une instruction de l’empereur sur cette ligne intermédiaire qui semble être une idée imaginée après l’événement, car les ordres subséquens ont été conservés : ils autorisent la marche sur Wavre et sont en pleine contradiction avec cette instruction prétendue qui aurait assigné la direction de Mont-Saint-Guibert. C’est sous les yeux mêmes de l’empereur et avec son assentiment que la route divergente de Gembloux a été choisie. Pourquoi Napoléon a-t-il laissé Grouchy s’engager de ce côté ? Que ne l’a-t-il arrêté ? Pourquoi ne lui a-t-il pas fait prendre la route de Bry à Tilly ? Les communications se seraient liées d’elles-mêmes ; mais c’est dès le point de départ, à Sombref, que les deux ailes se sont trouvées profondément