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une heure plus tard, pour peu que le soleil ait baissé à l’horizon, le voyageur aura sous les yeux un tableau tout différent, et ce sera une description à recommencer. Ces différens aspects de la nature sont trop les humbles serviteurs des sentimens particuliers des personnages; ils n’excitent chez le lecteur qu’un simple mouvement de curiosité et non une impression qu’il puisse s’approprier : cela revient donc à dire une fois de plus qu’il est nécessaire que la nature décrite présente, comme les héros de roman, quelque chose de général et d’humain.

Cette dernière qualité, les héros de M. Juste Olivier la possèdent toutefois, non pas peut-être avec beaucoup de virilité, mais avec une grâce élégante qui inspire tout de suite la sympathie. Deux jeunes gens sont en présence, qui cherchent à s’aimer avec toute la sincérité, toute l’ardeur dont ils sont capables, mais en même temps avec une certaine coquetterie qui, selon le résultat qu’elle obtient, prend la forme tantôt de la défiance, tantôt du défi. Julia Glenmore offre quelques traits de cette charmante création d’Alfred de Musset qui est l’âme de Fantasio. Comme la princesse Elsbeth, elle est « mélancolique, fantasque, d’une joie folle... » En somme, elle est surtout curieuse, elle a surtout besoin d’émotion; mais sa franchise la sauve. La coquetterie en effet chez un jeune cœur amène avec soi une sorte de dépit vague et secret qui peu à peu finit par l’entraîner sérieusement. Ce que veut Julia, ce qui la tente, c’est le secret et dangereux plaisir qu’elle éprouve à pousser Semplice à lui avouer son amour, sans lui donner sur le sien propre une certitude qu’elle ne possède peut-être pas encore. Semplice, lui, est un artiste qu’un hasard a rapproché de Julia; mais M. Juste Olivier a fait preuve de goût en repoussant ici, pour composer son personnage, ces traits vulgaires de convention qui servent à peindre dans la plupart des romans modernes tout homme qui jouit de la sublime fonction de manier le pinceau et l’ébauchoir. Avant tout, Semplice a la prétention d’être homme, et véritablement il l’est. Une des meilleures pages du roman est celle où Semplice expose cette prétention en termes qui la justifient. Il veut que la femme qui l’aime aime en lui l’homme et non l’artiste, et il est offensé de soupçonner que Julia ne l’aime point ainsi. Cependant, entre deux cœurs aussi honnêtes, aussi vraiment amoureux, le malentendu ne peut longtemps durer, et tout finit par une franche et heureuse explication.

Telle est la fable de ce roman, où se montrent d’aimables et sérieuses qualités, qui cependant sont gâtées parfois par leur propre exubérance, surtout par l’inexpérience de l’écrivain. Le roman est certainement trop long d’un tiers. L’auteur épuise trop volontiers chacun de ses épisodes. Il a un certain nombre de personnages secondaires dont il tient à faire connaître successivement l’opinion sur chacun des incidens de son récit. Ces figures ont pourtant un certain relief, on voit qu’elles sont des souvenirs réels de l’auteur; mais les mettre ainsi en scène, n’est-ce pas sacrifier l’ensemble à des portraits inutiles? L’analyse des nuances, déjà si minutieuse,