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Paris, à La Villette, à Belleville, jusque dans les faubourgs et aux barrières même. Ils ne s’étaient retirés que lorsque toute résistance avait été épuisée. Cela n’avait étonné personne. On n’aurait pas même compris qu’il pût en être autrement. Et maintenant, dans les mêmes lieux fortifiés par l’art, avec 80,000 soldats appuyés de 17,000 tirailleurs, de 30,000 gardes nationaux rangés derrière la position presque inexpugnable du canal de l’Ourcq, en face d’un ennemi partagé, on se décidait à se retirer, à céder Paris et la France sans brûler une amorce ! Pourtant on avait vu dans les combats de Compiègne, de Senlis, hier encore à Versailles, par le coup de main d’Exelmans, que c’étaient des Français que l’on commandait, et qu’ils savaient encore aborder l’ennemi !

Que s’était-il donc passé ? Le voici. Dans l’intervalle de cette année, on avait fait cette étrange découverte, qu’il est trop dangereux pour l’ordre de défendre une capitale, que l’on fait courir par là un trop grand risque aux arts, au commerce, à l’amélioration des mœurs (car ces singulières considérations furent alléguées par le gouvernement dans sa proclamation), comme si l’année précédente il n’y avait point eu de beaux-arts et de mœurs à améliorer ! comme si les étrangers avaient hésité jamais à livrer bataille sous leur capitale pour la sauver ou la reprendre : les Autrichiens sous les murs de Vienne, à Essling et Wagram ; les Espagnols sous Madrid, à Somo-Sierra ; les Russes sous Moscou, à la Moskova, et dans cette même campagne les Anglo-Belges à Bruxelles !

Il faut bien admettre que dans ce conseil suprême de La Villette ces hommes si familiarisés avec la mort ne l’ont pas crainte pour eux-mêmes ce jour-là plus que les autres jours de leur vie ; mais ils subirent la force des choses, qui se montrait partout. Bonaparte tombé, le bonapartisme avait disparu. À sa place ne se montra aucun principe qui sembla valoir qu’on s’ensevelît avec lui.

Les militaires, comme les autres hommes, en des circonstances trop fortes, laissent entrer dans leurs jugemens pratiques, sur ce qu’ils savent le mieux, des considérations étrangères à leur profession, et quand cela arrive, tout est perdu, car ils peuvent couvrir de la gloire qu’ils ont acquise dans vingt batailles les sophismes de la lassitude ou de l’inconstance. Et qui alors, dans une question militaire, peut résister à leur autorité ? quelle voix serait entendue ? Lorsque tous les maréchaux, moins un seul, Lefebvre, opinaient pour la reddition, il ne restait qu’à opposer chacun d’eux à lui-même. Que le prince d’Eckmühl, le prince d’Essling, le duc de Dalmatie se souviennent seulement de Davoust, de Masséna et de Soult ! En effet, il n’y avait pas là un seul homme qui n’eût, en d’autres temps, engagé quelque affaire avec des chances beaucoup moins