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relevait à vue d’œil ; il payait à l’Europe une rançon de deux milliards, rétablissait sa population et son activité productive, et prenait peu à peu possession de ses libertés nouvelles sous les auspices d’un gouvernement modérateur. L’ordonnance du 5 septembre 1816, qui arracha le pouvoir à la majorité réactionnaire élue dans le premier emportement du succès, fut un des principaux épisodes de ces belles années et un des actes les plus habiles de Louis XVIII. Sans elle, la révolution de 1830 aurait probablement éclaté dix ans plus tôt.

On a souvent dit que cette ordonnance avait eu le caractère d’un coup d’état. Cette qualification n’est pas exacte. En prononçant la dissolution de la chambre des députés, le roi usait d’un droit constitutionnel qui lui appartenait par la charte ; en réglant par ordonnance les formes provisoires de l’élection, il ne violait aucune loi, puisqu’il n’en existait aucune, la loi électorale votée par la chambre des députés ayant été rejetée par la chambre des pairs. Les élections nouvelles montrèrent que Louis XVIII et ses ministres avaient parfaitement jugé les véritables sentimens du pays. La chambre de 1815 y disparut, et fut remplacée par une majorité franchement constitutionnelle. Royer-Collard, qui avait été pour beaucoup dans l’ordonnance du 5 septembre, fut nommé par le roi président de son collège électoral ; c’est en s’adressant aux électeurs qu’il prononça cette phrase devenue célèbre : « Le roi, c’est la légitimité ; la légitimité, c’est l’ordre ; l’ordre, c’est le repos ; le repos s’obtient et se conserve par la modération, vertu éminente que la politique emprunte à la morale. La modération, attribut naturel de la légitimité, forme donc le caractère distinctif des véritables amis du roi et de la France : » proposition vraie sous un roi sage, mais qui devait cesser de l’être avec un prince d’un autre caractère.

Alors prit naissance ce petit groupe d’amis politiques qui a reçu le nom de doctrinaires, et qui a exercé une si puissante action sur la fondation du gouvernement représentatif en France. Il se composait à l’origine de cinq ou six noms : Royer-Collard, Camille Jordan, de Serre, M. de Barante, M. Guizot ; il s’est accru depuis de la plupart de ceux qui ont joué un rôle sous le gouvernement de juillet. On n’avait vu jusqu’alors aux prises que deux théories politiques : celle de l’ancien régime et celle de la souveraineté populaire ; les doctrinaires apportaient un nouveau système, une nouvelle doctrine, et c’est de là que leur vint leur nom. « Appelés tour à tour, dit M. Guizot dans le premier volume de ses Mémoires, à combattre et à défendre la révolution, ils se placèrent dès l’abord dans l’ordre intellectuel, opposant des principes à des principes, affirmant des droits au lieu de n’alléguer que des intérêts. Il y avait