Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans cette tentative un grand orgueil, mais qui commençait par un acte d’humilité, car il proclamait les erreurs d’hier en même temps que la volonté de n’y pas retomber. »

Puisque les doctrinaires eux-mêmes s’accusent d’orgueil, on aurait mauvaise grâce à les en disculper. Ils avaient donc ce défaut, et d’autres encore ; mais on ne peut leur contester l’esprit, le talent, le caractère, l’activité, la conviction et en fin de compte l’ascendant. Ils ont échoué dans quelques-unes de leurs entreprises, mais ils ont encore plus réussi qu’échoué ; ils ont trop professé, trop discuté, trop écrit et trop parlé pour avoir eu toujours raison, mais ils ont eu raison plus souvent que personne. Ils ont marqué profondément leur trace dans la législation, dans la politique, dans la littérature, dans la philosophie, dans les études historiques et critiques. Parmi les écoles qui cherchent à les remplacer, il n’en est encore aucune qui puisse se flatter d’un pareil succès. Qu’on demande maintenant de nouveaux pilotes pour des horizons nouveaux, c’est la loi de ce monde changeant ; qu’on fasse appel à des idées plus larges et plus pratiques à la fois, qui s’enferment moins dans le cercle inflexible d’une forme de gouvernement, c’est très bien, pourvu qu’on les trouve ; mais la première condition pour dégager l’avenir est d’être juste envers le passé. La France manquait en 1816 de l’expérience des institutions libres, elle marchait à l’aveugle, en tâtonnant, et elle a été fort heureuse de trouver pour la guider des hommes qui lui apportaient des principes à défaut d’autres enseignemens. Ces principes n’étaient pas tous également essentiels, également infaillibles ; le temps seul peut faire le partage, et il n’a pas encore prononcé en dernier ressort.


II

Le plus grand succès de Royer-Collard et de ses amis, après l’ordonnance du 5 septembre, fut la loi électorale du 5 février 1817. Tous les partis attachaient alors une extrême importance à la loi des élections ; suivant qu’elle serait combinée dans un sens ou dans un autre, on la considérait comme devant donner le pouvoir à l’une ou à l’autre des grandes opinions qui se partageaient la société. L’expérience a prouvé que les combinaisons de la loi, sans être précisément dépourvues d’influence, n’avaient pas une vertu aussi complète. C’est l’état général des esprits au moment de l’élection qui décide les choix beaucoup plus que la forme du suffrage. On ne le savait pas encore en 1817, et chaque parti avait son système, qu’il défendait avec passion. Le côté droit, pour organiser une souveraineté aristocratique, voulait l’élection indirecte ou à deux degrés.