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suspicion de la magistrature, qui est l’instrument judiciaire par excellence, excédait la mesure de la justice et de la vérité. La presse ne peut être véritablement libre qu’à la condition d’être soumise, pour ses excès, à une répression sévère, et dans un pays où les mœurs publiques commençaient à naître, le jugement par jury n’offrait pas toujours des garanties suffisantes pour cette répression.

Il ne choisit pas mieux son terrain pour se séparer du ministère sur une autre question. Le maréchal Gouvion Saint-Cyr venait de proposer une loi sur l’organisation de l’armée qui répondait avec bonheur à tous les besoins. L’armée y était constituée sur ces bases qui la rendent si profondément nationale et qui se sont maintenues sous toutes nos révolutions. Royer-Collard ne pouvait méconnaître les mérites de cette loi, notamment en ce qui concernait les règles posées pour l’avancement. Il s’attacha à un point de détail et réclama le vote annuel du contingent. Le principe du vote annuel eût été en effet plus conforme à la stricte doctrine constitutionnelle ; mais au moment où la société nouvelle obtenait de si grandes concessions pour la constitution de la force publique, il eût été convenable de se montrer moins exigeant. La question n’avait en elle-même aucune importance, puisque le gouvernement ne pouvait dépasser un maximum sans consulter les chambres. Même aujourd’hui il y aurait un grand profit à renoncer au vote annuel, pourvu que le maximum du contingent ne dépassât pas celui qu’avait fixé Gouvion Saint-Cyr (40,000 hommes). Le roi ayant cru son autorité engagée, le vote annuel ne l’emporta pas.

L’opposition de Royer-Collard fut plus fondée et plus heureuse quand il s’agit du nouveau concordat qui venait d’être négocié à Rome par M. de Blacas pour remplacer celui de 1801. Ce concordat avait été conclu par des hommes qui ignoraient à la fois et l’esprit de l’ancien clergé et les exigences de la société nouvelle. Il ne plut à personne, et on dut le retirer avant discussion. Royer-Collard se donna le tort d’une extrême âcreté dans l’expression de son blâme. « La signature du concordat, dit-il, était un crime politique ; le soutenir est une bêtise. »

Deux nouvelles et éclatantes satisfactions lui furent encore données en 1819. Une résolution de la chambre des pairs ayant demandé la modification de la loi des élections comme trop démocratique, non-seulement le gouvernement ne l’accorda pas, mais il nomma d’un seul coup soixante pairs nouveaux pour changer la majorité. En même temps, la loi sur la presse présentée l’année précédente n’ayant pas abouti, le ministère en présenta une nouvelle tout à fait conforme aux idées de Royer-Collard. Cette loi, qui posait le principe absolu du jugement par jury, fut adoptée. L’expérience