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montra que ces deux concessions allaient trop loin, car elles contribuèrent certainement au déchaînement révolutionnaire qui ne tarda pas à éclater. La loi des élections, avec de grandes qualités, avait un grand défaut, le vote au chef-lieu de département, qui amenait des assemblées tumultueuses et faciles à influencer du dehors, et quant à la loi de la presse, on vit bientôt que dans l’état des mœurs publiques c’était l’organisation de l’impunité ; cette loi dura un an à peine, elle périt sous les excès qu’elle avait provoqués.

Tous les partis ont fait des fautes en France depuis cinquante ans ; le parti libéral fit la plus grande de toutes en ne se ralliant pas alors au gouvernement royal. L’éloignement du roi pour le parti réactionnaire, l’attachement des ministres aux principes de la charte, s’étaient manifestés par une série d’actes qui donnaient aux libertés publiques les gages les plus formels, l’ordonnance du 5 septembre, la loi des élections, la loi du recrutement, la promotion des soixante pairs, le rappel des bannis, la loi sur la presse, et même une mesure sévère contre le comte d’Artois, à qui son frère avait retiré le commandement des gardes nationales. La santé du roi pouvait, il est vrai, faire craindre à tout moment l’avènement des idées contraires ; mais c’était une raison de plus pour s’attacher fortement au trône, afin de rendre la rupture plus difficile en cas de succession. Les chefs apparens du parti, Laffitte, Casimir Perier, Benjamin Constant, le général Foy, en avaient le sentiment, le dernier surtout, dont l’honnêteté politique égalait l’éloquence ; la violence des passions qui s’agitaient derrière eux ne le leur permit pas. Au lieu de donner force et concours à la monarchie constitutionnelle, les mesures libérales du gouvernement ne firent qu’ouvrir la voie à des espérances et à des démonstrations ouvertement hostiles.

Dans cette situation, il n’est pas étonnant que le roi ait montré quelques inquiétudes, et que les royalistes constitutionnels, dont il aimait à s’entourer, aient songé à revenir sur leurs pas. Ce qui se comprend moins, c’est que Royer-Collard, un des plus engagés dans la foi monarchique, n’ait pas reconnu un des premiers cette nécessité. Avant les élections de 1819, on pouvait conserver quelques illusions ; l’élection d’un régicide, l’abbé Grégoire, dut ouvrir tous les yeux. On a dit que le parti ultra-monarchique n’avait pas été étranger à cette élection, et c’est en effet ce que semble indiquer ce mot d’ordre donné par les chefs et rappelé par M. de Barante : « plutôt des jacobins que des ministériels, car les jacobins amèneront une crise ! » Mais cette tactique habituelle des partis ardens n’aurait pas suffi pour amener un tel éclat, si les élémens révolutionnaires n’avaient été eux-mêmes exaltés jusqu’à la folie. Devenu