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Les chefs de notre expédition voulaient bien m’appuyer lorsque je plaidais cette cause ; la vie de caravane leur plaisait aussi. Elle leur donnait entre autres jouissances le plaisir du commandement. Sur le Nil, ils n’avaient qu’à laisser leur flottille voguer doucement au fil de l’eau ; mais, dans le désert, ils devaient faire usage de leur autorité. L’aîné gouvernait le voyage et recherchait la plus grande part de soin et de responsabilité possible. Il le conduisit avec fermeté et précision dans l’hospitalière Égypte, comme plus tard dans la turbulente Syrie. Son frère lui apportait le tribut de ses remarques et de ses conseils, d’autant plus clairvoyans qu’il avait acquis dans la campagne d’Italie le coup d’œil du militaire. Il ne désirait rien tant que d’accroître par sa déférence l’autorité de notre chef. Je dois dire que les admirateurs du désert auraient peut-être trouvé moins de charme à cette nature sans l’heureuse direction donnée à la caravane.

Nous nous arrêtâmes aux fontaines de Moïse, ravissante oasis, où nous trouvâmes cette fois un bosquet, un ruisseau, une bergère ! La bergère était une jeune fellah à la démarche fière et distinguée, gracieusement drapée dans la robe bleue des Égyptiennes qui tombe droit des épaules aux pieds. La tête et le visage enveloppés d’un voile de même étoffe, elle ne nous montrait que ses deux grands yeux noirs fendus en amande, ces yeux dont les dames du temps des pharaons étaient si fières, et qu’elles allongeaient en les peignant jusqu’à l’oreille. La jeune fellah nous dévisageait avec une assurance que l’on aurait pu prendre pour de la hardiesse, si la douceur de son regard n’avait démenti cette impression. Elle nous offrit de l’eau. Les quelques paroles qu’elle prononça me firent, malgré la dureté de la langue arabe, l’effet d’une romance. Que dirais-je de plus ? Elle était voilée, mais je ne sais pourquoi je me la figurai très belle et gardai le souvenir de son apparition subite au milieu de la solitude. Elle se pencha comme une naïade sur le bord de la fontaine, bassin carré d’où jaillissaient quelques sources. Son père, le jardinier du lieu, jetait dans l’eau puisée par elle des feuilles d’oranger ; imitant le miracle du patriarche hébreu, d’amère il la rendait potable.

Au milieu de la vaste plaine, la vie semblait s’être concentrée dans ce lieu charmant : les fleurs y abondaient, les insectes bourdonnaient dans l’herbe, des caméléons se tenaient immobiles dans les branches des palmiers, des lauriers, des myrtes ; toute une famille vivait heureuse du produit de cette terre. Les ruisseaux étaient avec raison aux yeux du jardinier le plus bel ornement de l’oasis. Un Arabe montre une source avec autant de fierté que les Parisiens la colonnade du Louvre ; c’est l’orgueil de sa patrie. Les jours de fête, les populations orientales se réunissent sur les bords des fontaines, et jouissent d’un plaisir qui ferait rire chez nous : elles regardent couler