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cri de détresse ; puis elle vit quelque chose reluire dans les ténèbres, les pistolets de Lorquin, et, rapide comme l’éclair, les arrachant de la ceinture du docteur, elle fit feu des deux coups à la fois, brûlant la barbe de Yégof, dont la face rouge fut illuminée, et brisant la tête d’un hulan qui se penchait vers elle, les yeux blancs écarquillés de convoitise. Ensuite elle saisit le fouet de Catherine, et debout, pâle comme une morte, elle cingla les flancs du cheval, qui partit en bondissant. Le traîneau volait dans les broussailles ; il se penchait à droite, à gauche. Tout à coup il y eut un choc ; Catherine, Louise, la paille, tout roula dans la neige sur la pente du ravin. Le cheval s’arrêta tout court, renversé sur les jarrets, la bouche pleine d’écume sanglante : il venait de heurter un chêne. Si rapide qu’eût été cette chute, Louise avait vu quelques ombres passer comme le vent derrière le taillis. Elle avait entendu une voix terrible, celle de Divès, crier : — En avant ! pointez ! Hardi, mes vieux !… pas de quartier ! — Puis elle vit une douzaine de hulans grimper la côte au milieu des bruyères comme des lièvres, et au-dessous, par une éclaircie, Yégof traverser la vallée au clair de lune, comme un oiseau effaré. Plusieurs coups de fusil partirent ; mais le fou ne fut pas atteint, et, se dressant de plein vol sur ses étriers, il se retourna, agitant sa lance d’un air de bravade et poussant un hourrah de cette voix perçante du héron qui vient d’échapper à la serre de l’aigle et gagne le vent à tire-d’aile. Deux coups de fusil partirent encore de la maison forestière. Quelque chose, un lambeau de guenille se détacha des reins du fou, qui poursuivit sa course, répétant ses hourrahs d’un accent rauque en gravissant le sentier qu’avaient suivi ses camarades. Et tout disparut comme un rêve.

Alors Louise se retourna. Catherine était debout à côté d’elle, non moins stupéfaite, non moins attentive. Elles se regardèrent un instant, puis elles s’embrassèrent avec un sentiment de bonheur inexprimable. — Nous sommes sauvées ! — murmura Catherine, et toutes deux se mirent à pleurer. — Tu t’es bravement comportée, disait la fermière ; c’est beau, c’est bien. Jean-Claude, Gaspard et moi, nous pouvons être fiers de toi !

Louise était agitée d’une émotion si profonde, qu’elle en tremblait des pieds à la tête. Le danger passé, sa douce nature reprenait le dessus ; elle ne pouvait comprendre son courage de tout à l’heure. Au bout d’un instant, se trouvant un peu remises, elles s’apprêtaient à remonter dans le chemin, lorsqu’elles virent cinq ou six partisans et Lorquin qui venaient à leur rencontre. — Ah ! , vous avez beau pleurer, Louise, dit le docteur, vous êtes un dragon, un vrai diable. Maintenant vous faites la bouche en cœur ; mais nous vous avons tous vue à l’ouvrage. Et à propos, mes pistolets, où sont-ils ?