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dans le même omnibus. On le traita en lépreux de l’église et de la société. On parvint même à neutraliser tous les efforts directs qu’il voulut faire pour fonder ou appuyer les institutions de bienfaisance ou d’instruction dont tout le monde reconnaissait le besoin. Pendant un certain temps, il y eut contre lui une véritable coalition de la presse, patronée par des coteries riches et puissantes. On refusait partout ses travaux. Il ne put, dans toute l’Union, trouver un seul éditeur qui consentît à imprimer ses premiers ouvrages : c’est un libraire swedenborgien de New-York qui prit enfin sur lui de tenter l’aventure. Non-seulement l’académie de Boston n’osa jamais lui ouvrir ses rangs, où il eût sans contredit occupé l’une des premières places, mais encore, quand Parker voulut s’intéresser à quelque œuvre de philanthropie chrétienne, il dut le faire en secret, par des tiers, en se cachant comme pour une mauvaise action.

Rien n’abattit son courage, et il y a quelque chose de fortifiant dans la vue de cet homme qui n’a que sa parole, sa plume et son caractère, et qui finit par triompher de toutes les forces sociales coalisées contre lui. N’étant lié que par sa conscience, au-dessus de tout soupçon d’intérêt personnel, n’étant inféodé à aucun parti politique ou religieux, il fut fort, pourrait-on dire, de ce qui semblait être sa faiblesse. Il continua à mener de front le travail de cabinet le plus absorbant et l’activité pastorale la plus infatigable. Il travaillait en moyenne quinze heures par jour, se tenant au courant de tous les progrès de la science européenne (critique, exégèse, linguistique, philosophie, archéologie, ethnologie comparée, statistique) : il voulait tout connaître et communiquer à ses concitoyens, dans le langage limpide et pénétrant dont il avait le secret, le fruit de ses veilles laborieuses. C’est ainsi qu’il publia une traduction, soigneusement annotée, de l’Introduction à l’Ancien Testament du professeur de Wette. Cette publication avait été précédée d’un autre volume intitulé : Discourse of Matters pertaining to Religion, que l’on peut considérer comme l’exposé de ses vues religieuses. Insensiblement la coalition formée contre Parker se montra plus traitable. Il put prendre une part active à la rédaction de plusieurs recueils périodiques, et même il écrivit, presque à lui seul, trois volumes de la Revue trimestrielle du Massachusetts. En même temps il devait prêcher chaque dimanche devant l’auditoire nombreux et difficile dont nous avons parlé. Il soignait beaucoup la composition de ses discours, et cela ne l’empêchait pas de consacrer une large part de son temps aux pauvres, aux malades, aux prisonniers. Le tiers de son revenu annuel s’en allait en charités. Le samedi soir, coutume assez rare chez un prédicateur, il recevait dans sa vaste bibliothèque ses amis, des proscrits de tous les pays dont il s’était fait le dévoué