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protecteur et des esclaves échappés des pays du sud. Sa conversation était, paraît-il, d’une vivacité entraînante, bien que roulant sur les sujets les plus sérieux. Toujours dans l’espoir de répandre le plus loin possible ses principes et ses aspirations, il profitait des puissans moyens de communication que le nord des États-Unis avait multipliés à la surface de son immense territoire pour faire annuellement de quatre-vingts à cent lectures dans les différentes villes de l’Union. On estime à cent mille personnes environ le nombre de ceux à qui il se faisait entendre ainsi tous les ans. Il était rare que les sujets de ses lectures roulassent directement sur les questions religieuses : il n’eût trouvé presque nulle part de local ni d’auditoire, s’il avait annoncé de pareils sujets ; mais il faut admirer la naïveté de ceux qui croyaient pouvoir impunément écouter l’orateur de Boston sur les beaux-arts, la politique, la littérature, l’économie sociale, sans être infectés des venins d’hérésie que recelaient nécessairement les prémisses ou les conséquences. La religion protestante est de nature trop pratique pour ne pas se mêler à tout. La séparation tranchée qui existe en France entre le monde et l’église n’est guère comprise chez les nations anglaise ou américaine, et, bien loin de blâmer cette immixtion, on aime fort au contraire que les ecclésiastiques prennent part aux discussions de politique, de littérature et d’art. La séparation constitutionnelle de l’église et de l’état sert même plus qu’elle ne nuit au maintien de ces rapports intimes. Comme aucune église ne saurait avoir, en sa qualité d’église, d’ambition ou d’arrière-pensée politique, on n’a jamais à redouter qu’elle se serve de l’entière liberté qui lui est garantie pour limiter celle des autres, et en fait c’est le mouvement ecclésiastique et religieux qui sert de base et de moteur au mouvement général de la société. Américain au fond de l’âme, Parker regardait d’ailleurs comme le privilège du Nouveau-Monde d’offrir au libre développement de la nature humaine un sol. vierge et sans histoire, à l’abri de toutes les entraves que les traditions du vieux continent apportent à l’épanouissement spontané des facultés et des énergies individuelles. Il usait donc largement de ce privilège, et c’est dans cette persuasion qu’il se mit à combattre vigoureusement tout ce qui pouvait nuire au développement normal de l’esprit américain. Par une fatale contradiction, la révolution américaine, en réalisant la plus grande somme de liberté individuelle dont le monde eût été encore témoin, n’avait pas su se débarrasser de l’esclavage. Parker vit nettement ce qu’il avait à faire. Comme patriote et comme chrétien, il voulut prêcher, selon son expression, contre les péchés du peuple en dehors de toute dogmatique, sachant bien qu’il travaillait ainsi au progrès simultané de sa patrie et des idées religieuses.