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puisse autoriser un établissement placé dans les conditions de la Banque de France à renchérir à l’improviste le crédit. En outre, si la France a, soit par ses achats de blé au dehors, soit par ses souscriptions à l’emprunt italien, contracté vis-à-vis de l’étranger des engagemens à courte échéance, qui pour une certaine somme devront être payés en numéraire, contre un tel fait toute élévation de l’escompte est manifestement impuissante. La dette existe, et elle sera payée en espèces, en espèces prises en grande partie à la Banque, avec l’escompte à 5 1/2, à 6, à 10, aussi bien qu’avec l’escompte à 5. Bien plus même, chaque degré d’élévation de l’escompte, restreignant au même degré la production, accroîtra le solde métallique que nous aurons à payer à l’étranger.

À notre avis, la Banque, lorsqu’elle élève l’intérêt, doit tenir compte de deux raisons bien plus sérieuses que les variations qui s’opèrent dans son encaisse. L’une de ces raisons dépend de l’état du marché intérieur, l’autre de l’état des marchés étrangers. Lorsque le marché intérieur est en proie à une spéculation exagérée, il y a lieu de renchérir l’escompte ; mais l’excès de la spéculation se reconnaît à un autre signe que la diminution de l’encaisse : il se révèle à l’importance extraordinaire des demandes de crédit qui sont adressées à la Banque, et par conséquent à l’augmentation du portefeuille. La Banque est bien forcée encore de subir l’influence des marchés étrangers, lorsque le crédit, par des causes analogues à celles qui agissent sur elle-même, renchérit sur ces marchés. Quand l’Angleterre a en même temps que nous des paiemens extraordinaires à faire en espèces au dehors, quand elle s’est livrée comme nous à une spéculation excessive, nous sommes bien obligés, sous peine de l’aider à notre propre détriment, d’élever chez nous le taux de l’intérêt au niveau où elle le porte chez elle. Or ce qui, à nos yeux, rend moins justifiable la détermination prise aujourd’hui par la Banque de France, c’est qu’elle ne s’appuie ni sur l’une ni sur l’autre de ces raisons.

Il est certain que l’état présent de notre industrie et de notre commerce révèle tout le contraire d’un excès de spéculation. La Banque de France n’avait pour s’en convaincre qu’à consulter son propre portefeuille. Ce portefeuille ayant, à ce qu’on dit, varié à peine, tandis que 29 millions s’étaient écoulés de l’encaisse, il était évident que la sortie des espèces n’était pas le signe d’un de ces mouvemens de spéculation qu’il convient de contenir par l’élévation de l’escompte. Quant à l’état des marchés extérieurs, du marché anglais surtout, qui est le régulateur ordinaire des questions de crédit commercial, jamais il n’a dû nous inspirer moins de craintes. Nous assistons à un phénomène aussi curieux que nouveau. Toujours jusqu’à présent les crises monétaires provoquées chez nous par des insuffisances de récoltes, venant nous surprendre dans un accès de spéculation commerciale excessive, avaient coïncidé avec des crises pareilles provoquées en Angleterre par des causes identiques. Le plus souvent même il avait