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semblé qu’en des circonstances pareilles nous avions plus souffert du contre-coup des crises anglaises que de l’effet naturel des perturbations qui se produisaient chez nous. Nous sommes maintenant en présence d’une situation toute différente. La récolte a été excellente en Angleterre, tandis qu’elle a été insuffisante chez nous : les Anglais ont des blés à nous vendre ; le métal monétaire abonde à Londres ; de semaine en semaine, nous avons vu l’escompte abaissé par la banque d’Angleterre : il est à 3 1/2 à la banque même, à 3 et moins encore dans Lombard street. Cet état de choses sera durable : la crise américaine oblige en effet l’industrie anglaise à restreindre ses opérations ; un grand nombre de manufactures du Lancashire ne travaillent plus que quatre ou trois jours par semaine ; le capital en Angleterre sera donc pendant longtemps encore plus offert que demandé. Dans ses besoins de céréales et dans le mouvement de ses transactions monétaires, la France par conséquent n’avait cette année nulle concurrence à craindre de la part de l’Angleterre. Il y avait de ce côté une sérieuse garantie de sécurité pour nous. Nous signalions, il y a deux mois, les avantages relatifs de cette situation : nous n’hésitions pas à y voir un motif d’espérer que nous n’aurions point à recourir à des restrictions de crédit par suite de nos achats de blé au dehors et de nos exportations de métaux précieux. C’eût été une expérience intéressante, instructive et, nous le croyons, très utile au pays, — puisque nous n’avions ni au dedans le péril d’une spéculation industrielle exagérée, ni au dehors l’embarras de la concurrence anglaise sur le marché monétaire, — de traverser la campagne commerciale actuelle sans altérer les conditions du crédit et sans jeter la défiance, peut-être le découragement dans notre industrie. Le système adopté par la Banque a déçu notre attente. Il est possible que cet établissement ait été déterminé par des considérations sérieuses, auxquelles nous nous rendrons volontiers, si l’on essaie de nous les faire comprendre. Lors même qu’il en serait ainsi, nous reprocherions toujours à la Banque de s’être conduite en cette circonstance avec trop de précipitation. Qui sait si les achats de grains à l’étranger entraîneront une exportation aussi considérable d’espèces qu’on se le figure ? La plus grande partie des blés que nous importons sont achetés en Russie. De ce côté, nous croyons que les transactions pourront se liquider sans sortie d’espèces. La Russie, on le sait, doit beaucoup à l’Europe, et sa dette commerciale exerce sur l’équilibre de ses changes une influence défavorable. Pour empêcher une détérioration plus grave du change, le gouvernement russe s’est fait ouvrir par des maisons de banque françaises des crédits considérables, dont il use sous forme de lettres de change fournies par des banquiers de Berlin. Nous avons entendu estimer à une soixantaine de millions l’importance de cette circulation créée par le gouvernement russe. Il y aurait là, par une simple compensation de traites, le moyen de solder une portion énorme de nos achats de céréales sans qu’il fût nécessaire d’y employer un seul écu français. Dans tous les cas, le calme de notre