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l’esprit de réaction faisait du principe de l’autorité l’allié nécessaire de la religion et soutenait au nom de l’église la thèse du pouvoir non disputé ? Or tout le monde sait qu’il s’est élevé pour l’église une question qu’elle met au rang des plus grandes, et qui pendant trente ans de liberté d’écrire ne s’était pas émue. Elle se déclare plus menacée que par la presse de 1830. Chercherons-nous l’esprit de réaction sous le toit des usines, dans les comptoirs du commerce ? Au nom des intérêts matériels, promus de nos jours au premier rang des élémens sociaux, il ne désirait, ne conseillait, n’augurait qu’un statu quo éternel, la perpétuité de tous les privilèges et de tous les systèmes établis. Or jamais les bases du commerce universel n’ont été plus profondément agitées soit par les événemens politiques, soit par les variations de la législation. Enfin que nous annonçait l’esprit de réaction par la bouche des sages, par l’organe de ces observateurs fatalistes qui se croient dans le secret des choses humaines ? « En vain, disaient-ils, l’orgueil et l’ambition d’un siècle enivré de lui-même voudraient résister ; en vain tous les esprits turbulens se coaliseraient pour perpétuer le mouvement quand la société tend au repos. La nécessité parle : un instinct plus puissant que de vaines théories, une sagesse nécessaire, la force des choses enfin, ramènent les gouvernemens et les peuples vers les principes et les intérêts conservateurs. Dans toute l’Europe, le spectacle ou la menace de l’anarchie a produit son effet ordinaire, immanquable. Tout retourne à l’ordre, à la stabilité. Le pouvoir est devenu le premier intérêt social, et, désabusée des nouveautés perturbatrices, l’Europe est replacée par une impulsion irrésistible dans les cadres sacrés de l’ancienne politique. » Qui ne croit les entendre encore, ces oracles d’une sagesse immobile ? Et pourtant il suffit d’un coup d’œil jeté sur l’Europe pour la voir agitée tout entière d’un besoin de renouvellement qui a remonté de la société au gouvernement, et converti presque en tout lieu le pouvoir même à la doctrine de ce qu’on appelle à tort ou à raison le progrès. Les dix ans qui viennent de s’écouler ont manifesté par des signes plus éclatans et plus inattendus qu’aucune période décennale de ces quatre-vingts dernières années l’action novatrice du génie du siècle. À prendre les choses en masse, l’esprit de réaction a reçu plus de démentis, éprouvé plus de mécomptes que l’esprit libéral. Après tout, nous n’avons été vaincus que parce que nous avons voulu l’être. L’esprit libéral a souffert pour avoir abandonné ses principes ; l’esprit de réaction pâtit pour s’être obstiné dans les siens.

Le temps semble donc venu pour l’un de reprendre courage et pour l’autre de céder, et quoique nous soyons loin d’espérer une prompte et complète victoire, ceux qui avaient compté sur la domination