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des idées contre-révolutionnaires, ceux qui, en changeant seulement la couleur de leur drapeau, espéraient remettre l’Europe ainsi que la France à un système de restauration moins la légitimité, à un régime de 1815 moins la sainte-alliance, s’aperçoivent de la vanité de l’entreprise et entrevoient peut-être que le pouvoir le plus tendu, le plus armé, n’est pas une garantie durable contre l’esprit du temps et le mouvement des sociétés. Or, en vérité, à quoi servirait l’absolutisme s’il n’était conservateur, et pourquoi se mettre en frais d’arbitraire et de restriction constitutionnelle, si l’on n’y gagnait pas la stabilité et la sécurité absolues ? Pourquoi prendre des narcotiques, s’ils ne font pas dormir ?

L’opinion publique, sans être encore prête à exiger tout ce qu’elle ne tardera point à réclamer, pressent un autre avenir et d’autres épreuves qu’elle n’attendait lorsqu’il y a dix ans elle changeait si subitement de direction. Ceux qui ont quelque prévoyance doivent comprendre que d’un jour à l’autre la société peut avoir des efforts à faire, et tout les presse de reporter leur plus sérieuse attention sur les problèmes politiques que les générations nouvelles auront à résoudre.

L’examen en est difficile et quelquefois accablant, à ce point que l’esprit s’en détourne et cherche à se reposer dans l’insouciance et l’oubli. Le despotisme n’a pas de plus puissant auxiliaire que cette secrète lâcheté du cœur humain, toujours si prompt à renoncer en toutes choses à se gouverner lui-même. à la suite des troubles civils, on se prend du désir de n’entendre plus parler de rien, d’avoir dans le gouvernement une machine qui marche toute seule, et de s’endormir au branle de sa roue. Non-seulement le souci des intérêts, mais la lassitude de l’intelligence nous portent à prendre le. temps comme il vient, l’état comme il est, et à nous dispenser d’avoir aucun avis. C’est contre cette mollesse indolente de l’esprit et du caractère que la presse doit incessamment lutter. À ceux qui en sont encore atteints, il faut opposer l’exemple des hommes qui ont laissé, soit par l’action, soit par la pensée, une trace profonde dans la mémoire des contemporains. Et comme l’heure de l’action n’a pas sonné, c’est la pensée qu’il faut stimuler en lui représentant sans cesse la question fondamentale du temps où nous sommes. Dans son expression la plus générale, c’est non pas seulement la question de l’ordre et de la liberté, de la conservation et de la révolution, c’est la question de l’avenir de la démocratie.

Ce n’est pas d’hier que cette imposante question a préoccupé les esprits supérieurs, deux surtout parmi les observateurs qui ne sont plus au milieu de nous, et dont les réflexions viennent d’être mises de la manière la plus intéressante sous les yeux du public, Royer-