Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/788

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sévère, indépendant, qui au fond a toujours paru à Royer-Collard le vrai christianisme. J’ai lu des lettres écrites par des paysannes de Sompuis ; on dirait les lettres retrouvées de quelques sœurs converses de Port-Royal. On voit dans la Vie du père Collard qu’un jeune homme nommé Royer vint s’établir à Sompuis. Ce pouvait être le père ou plutôt un aïeul du nôtre. Sa mère, Angélique Collard, était une femme supérieure ; il le trouvait du moins et disait qu’il n’avait point connu de femme qui eût autant d’esprit. Sa dignité simple imposait à tous, et quand son fils faisait de si grands éloges du respect, il exaltait évidemment le sentiment que sa mère la première, et certainement plus que personne au monde, lui avait appris à connaître. C’est donc dans la vie de famille, dans la vie des champs et sous la discipline d’une piété volontairement austère que le jeune janséniste fut élevé.

Il entra à douze ans au collège de Troyes. Cette ville aussi avait reçu une forte empreinte de l’administration d’un évêque janséniste, un Fitz-James, je crois. Ce nom surprend à trouver dans ces rangs-là ; mais il n’y a pas longtemps encore que les traces d’une puissante influence religieuse, très différente de celle qui prévaut aujourd’hui, se remarquaient dans la société de Troyes. Du collège de cette ville, notre écolier passa à celui de Chaumont, où il fit sa rhétorique avec le futur ministre de la marine, Decrès. Leurs deux noms se lisent encore sur une plaque de bronze dans la salle principale du collège (1779). Puis le père Collard le doctrinaire prit son neveu avec lui à Saint-Omer, où il dirigeait le collège de son ordre. Là le futur philosophe étudia seul les mathématiques ; il poussa cette étude assez loin et croyait s’être avancé dans la science autant qu’on pouvait le faire à cette époque. Il en donna même des leçons dans le collège dirigé par son oncle, et peut-être aussi dans le collège de Moulins, où il exerça quelque temps les fonctions de l’enseignement. Ainsi celui qui devait être le disciple de Reid a commencé comme son maître, qui débuta par les mathématiques et les aima toujours. C’est en effet la meilleure introduction à l’étude de la philosophie. Plus tard, à la commune de Paris, Condorcet remarqua ce membre du conseil qui comprenait tant de choses. Il le recherchait, venait s’asseoir auprès de lui et disait à ses amis : « Figurez-vous que j’ai trouvé là un jeune homme qui sait la géométrie ! » Royer-Collard, qui devait succéder à Laplace, n’était pas étranger à ses ouvrages. Il a même hardiment engagé une controverse avec lui dans ses leçons de philosophie.

Dans le cours de ses études, il avait eu un moment pour maître Manuel, qui fut procureur-général de la commune. Dans une lettre que ce dernier lui écrivit en 1791, on lisait ces mots : « L’élève a de