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quand on écrit l’histoire contemporaine. L’expérience, en nous montrant les conséquences imprévues et les changemens singuliers que les années amènent, réagit sur notre manière de juger et même de concevoir les opinions et les actes des époques antérieures. Non-seulement nous cherchons à n’avoir pas eu tort dans le passé, mais nous croyons naturellement qu’il en est ainsi, et conduits par une pente insensible à comprendre différemment les mêmes choses, à nous former de nouvelles idées, nous imaginons de bonne foi que nous avons su toujours ce que nous avons tardivement appris ; il nous coûte de rentrer dans les illusions que nous n’avons plus. M. de Barante, dont la raison calme et pénétrante résiste à tous les entraînemens, est un des écrivains de notre temps qui sont restés le plus fidèles aux idées avec lesquelles ils ont commencé, et les faits, en se développant, en se démentant les uns les autres, ont porté peu de trouble dans les jugemens d’un esprit toujours en garde contre la déclamation et le paradoxe. C’est un historien de sang-froid, dont la sévérité n’a pas de colère, dont la bienveillance n’a pas d’engouement, dont l’admiration n’a pas d’enthousiasme, dont la morale est sans pédantisme. Avec une admirable flexibilité d’esprit, il sait se replacer dans ses anciens points de vue et retrouver la nuance juste et la mesure précise de ce qu’il a pensé à l’aspect des événemens. C’est ce qui donne à ses jugemens une originalité plus réelle qu’apparente, et à ses récits comme à ses portraits une exactitude persuasive. Quiconque dans l’avenir voudra écrire l’histoire de la société française depuis 1789 devra tenir grand compte de son témoignage et s’assurer d’y trouver toujours toute la vérité qu’il a vue. C’est dans sa perfection l’esprit vrai qu’admirait tant La Rochefoucauld.

En recueillant les discours de Royer-Collard et en les confrontant avec les événemens qui les ont suggérés, M. de Barante a restitué authentiquement le rôle historique de l’homme éminent qu’il a voulu peindre, et il a porté une vive lumière sur son caractère et sa nature. Cependant il a laissé de côté quelques traits que devra recueillir l’auteur d’une biographie proprement dite, et surtout celui qui, écrivant des mémoires, voudra représenter, avec une vérité que j’appellerai dramatique, un des hommes les plus singuliers et les plus remarquables de son temps.

Il faudrait commencer par une peinture détaillée de cette commune, ou plutôt de cette communauté de Sompuis, où Pierre-Paul Royer-Collard était né (1763). On trouverait l’histoire de cette petite église dans la vie du père Collard, en tête de ses deux volumes de Lettres spirituelles, et peut-être sur les lieux mêmes quelques familles ont-elles conservé la tradition de ce christianisme réfléchi,