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Il n’avait pas cessé de croire qu’elle avait des défauts ou des vices, tant essentiels qu’accidentels, les uns provenant des événemens, les autres de sa nature, qui lui rendaient difficile de fonder ou de recevoir, de soutenir ou de conduire un gouvernement éclairé, régulier, stable, surtout dans la modération et dans la liberté. Enfin l’expérience, en lui montrant encore plus clairement ces obstacles, étai. loin d’avoir affaibli en lui le désir de les vaincre, et rien assurément ne l’avait ramené à s’accommoder plus paisiblement du honteux refuge que la faiblesse aimerait à chercher dans l’absolutisme. Entre ces données, dont il ne voulait retrancher ni éluder aucune, comment aurait-il su résoudre ou seulement poser le problème ?


IV

On a comparé ingénieusement ce problème à l’énigme du sphinx. Le siècle qui s’écoule a quelque chose de la beauté et de la cruauté de l’être merveilleux et terrible qui menaçait Œdipe de son fatal secret. « Devine, ou meurs ! » telle est l’alternative qu’il semble signifier tour à tour aux gouvernemens qui s’élèvent ou se soutiennent encore. Et quoique les événemens quelquefois nous en distraient ou nous en dispensent, la faiblesse et l’irréflexion peuvent seules expliquer comment il se fait que tout esprit sérieux, je dirais presque toute âme de bon citoyen, s’occupe d’autre chose que de cette question redoutable. Le silence ne la supprime pas, les faits l’ajournent, et souvent l’aggravent en l’ajournant ; mais, à la fuir ou à la craindre, on ne la rendra pas moins pressante et moins périlleuse, et il n’appartient qu’à l’égoïsme excusable de la vieillesse de se tranquilliser en la déclarant insoluble.

Sans essayer ce que Tocqueville n’a pas fait, je voudrais cependant non pas en donner la solution, mais au moins en réduire la difficulté à ses termes véritables. Je n’ai pas jusqu’ici amoindri la question ; j’ai montré les plus grands esprits effrayés de sa gravité. Il n’y a que la témérité, l’ignorance ou la passion qui la pourraient méconnaître ; mais je trahirais ma pensée, si, laissant aux idées cette forme absolue que leur prêtent volontiers dans la discussion les esprits d’une forte trempe, je donnais à supposer que je crois la raison, dans la recherche de l’horoscope social, entourée de toutes parts d’impossibilités et condamnée au désespoir. L’on peut dire tout le mal qu’on voudra de la prévoyance humaine, et la menacer de tous les mécomptes imaginables ; mais, à moins que le monde ne finisse, l’humanité, c’est-à-dire la société, ne périra pas. Lorsqu’on dit qu’elle va périr, c’est une manière de parler, et les effets