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surtout le luxe, et Se ville devint un séjour enchanté où se concentrèrent à la fois les traditions les plus efféminées de la chevalerie expirante, le côté choisi des mœurs et des usages arabes, quelque chose des pompes païennes sous le masque d’une dévotion accommodante, le bien-être cher aux marchands, l’indolence plus chère aux méridionaux, la mollesse amoureuse que le climat faisait pénétrer dans les veines, et par-dessus tout la passion des plaisirs. Séville n’était pas seulement le cœur de l’Andalousie, c’était l’Andalousie tout entière, telle du moins que se la figure le XIXe siècle, qui circonscrit son horizon poétique entre don Juan et Figaro. Jusqu’à quel point les œuvres des peintres qui ont précédé Murillo rappellent-elles le caractère du pays qui les a inspirées ou lui sont-elles étrangères, il est aisé de le dire en peu de mots : cet aperçu fera mieux ressortir ce que la physionomie de Murillo a de national.

Ce ne fut qu’au XVIe siècle que la peinture prit à Séville quelque développement. Auparavant les artistes avaient altéré les traditions byzantines plutôt qu’ils ne les avaient suivies, en y mêlant l’imitation du style gothique. On peut leur attribuer une partie de ces retables en bois peint qui surmontent encore les autels et ces vierges archaïques que les Espagnols appellent les Madones de l’antiquité, et qui sont à peu près ce qu’étaient les Vierges de saint Luc[1] dans les églises grecques. La plupart des peintres du XVIe siècle étaient prêts en même temps non-seulement à orner à la détrempe les voûtes et les murs des chapelles, mais à colorier les statues de bois ou de terre cuite, dont le goût a toujours été si répandu en Espagne, les buffets d’orgues, les catafalques, les décors de la semaine sainte : les plus habiles ne rougissaient pas de tracer des sujets sacrés à la douzaine sur des morceaux de serge, tableaux économiques qu’on exportait en Amérique, et sur les étendards dont se pavoisaient les vaisseaux. On trouvera dans les dictionnaires biographiques presque tous les noms de ces décorateurs, et les archives de la cathédrale nous apprennent même quels furent ceux qui travaillèrent au monument colossal qu’on y éleva pour les funérailles de Philippe II. Ce n’est point moi qui protesterai contre l’oubli dans lequel ils sont tombés ; je laisserai même de côté Sanchez de Castro, le prétendu fondateur de l’école sévillane, qui donnait à la Vierge un chapelet et des lunettes ; Alejo Fernandez, qui porta son art et ses leçons à Cordoue ; Diego de la Barrera, qui peignit en 1522 les statues et les reliefs de la porte du Pardon à la cathédrale de Séville.

La science vint d’Italie et de Flandre. Luis de Vargas (né en 1502)

  1. On sait qu’en Orient on attribue à saint Luc toutes les Vierges d’un style ancien, œuvres des peintres byzantins.