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des orangers, des sérénades, des yeux noirs, et l’Andalousie est la terre promise vers laquelle s’envolent bien des rêves. En cela comme en toutes choses, les deux époques manifestent leurs tendances diverses : le grand siècle voulait admirer, le nôtre a besoin de jouir. L’Andalousie en effet a reçu tous les sourires du ciel. Les races diverses qui l’ont occupée s’y sont successivement amollies. Dans l’antiquité, les bords du Bétis étaient déjà réputés un lieu de délices. Les Ibères ne purent point les défendre contre les Vandales, qui s’y énervèrent aussi vite qu’à Carthage. Les Arabes à leur tour y perdirent leur férocité, ils oublièrent même les préceptes du Coran pour apprendre la douceur de vivre, le goût des arts, la culture des lettres et les raffinemens de la civilisation rapide. Les malheurs de l’Andalousie datent de la domination chrétienne. Le fanatisme des rois d’Espagne l’a dépeuplée à un tel point qu’il ne reste qu’un million d’hommes sur un sol qui nourrissait jadis huit millions d’habitans. Aujourd’hui Séville a gardé seule quelques-unes de ces séductions que la nature cesse d’offrir dès que la richesse et l’industrie humaine cessent de la féconder. Jaen et Murcie ne se souviennent plus qu’elles ont été des capitales florissantes. Cordoue, la ville des khalifes, est un amas de ruines entassées au bord du Guadalquivir ; seule, la mosquée, entourée d’orangers gigantesques, atteste une grandeur dont les traces mêmes seraient effacées, si le culte catholique ne se fût choisi un abri sous ses mille colonnes. Grenade, tant pleurée par les Maures, a conservé sa plaine fertile, ses étés, que rafraîchissent les neiges éternelles de la Sierra-Nevada, ses jardins, arrosés par le Xénil et le Douro, et surtout les divines arabesques de l’Alhambra mutilé ; mais la cité arabe n’est qu’une série de masures, les quartiers modernes le disputent en tristesse à nos villes de province les plus chétives, et les repaires que les gitanos se sont creusés au-dessous du Généralif ajoutent à ce tableau la touche suprême de la misère.

Pendant que les anciennes capitales arabes dépérissaient, l’heureuse Séville s’agrandissait, multipliant autour de la Giralda aux briques roses ses maisons, dont l’élégant atrium semble dérobé aux maisons de Pompéi. Sa prospérité avait la même source que celle de Venise, de Gênes, de Pise, — la navigation et le commerce. La rade de Cadix n’était point jugée alors un abri sûr pour les vaisseaux, qui remontaient le large Guadalquivir et s’amarraient aux quais de Séville. Séville était le port de l’Espagne sur l’Océan. De là partit Christophe Colomb avec ses caravelles ; là furent débarqués d’abord toutes les dépouilles du Nouveau-Monde, puis les trésors plus durables qu’acquérait un trafic régulier. La richesse appelle les arts : bientôt Séville eut une école de peinture. La richesse appelle