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qui l’entourent, ni même le paysage et la foule qu’on aperçoit dans un lointain vaporeux : ce sont des femmes assises à terre qui regardent et attendent.

Si l’on poursuit l’analyse des productions qui s’écartent peu à peu du genre historique proprement dit, on remarquera que les personnages accessoires sont souvent mieux traités que les personnages principaux. Dans l’Adoration des Bergers, par exemple, qui est à Madrid, la Vierge n’exprime rien autre chose que la sollicitude maternelle, et ce sont les pâtres, grossiers, couverts de peaux, appuyés sur leurs bâtons, qui attirent l’attention. De leur côté est la chaleur du coloris, la vigueur des teintes, le luxe des détails, la complaisance non avouée de l’artiste. La Sainte Elisabeth de Hongrie, qui est au musée de l’académie de San-Fernando à Madrid, présente le même défaut. Elisabeth, tout en pansant ses pauvres, a un air froid, distrait, étranger à l’action. Elle parle à une vieille femme qui l’admire avec autant d’indifférence que si elle faisait ce métier depuis vingt ans. La tendresse, la charité ardente, l’héroïsme qui surmonte tant de dégoûts, tel était le vrai sujet, et Murillo ne paraît pas s’en être douté. Il s’est intéressé et il nous intéresse bien plus au teigneux dont la tête se penche sur un bassin, au blessé qui s’est assis pour défaire les bandages de sa jambe, au boiteux qui s’éloigne dans l’ombre, au petit gueux qui se gratte la tête avec une grimace de singe. Cela n’empêche pas que l’ensemble de la composition n’ait de l’air, de la largeur. Dans le fond, on aperçoit une salle de palais et le festin qu’a quitté la pieuse reine. Tout est raisonnable, avec d’excellens morceaux d’exécution, notamment les nus, qui sont d’une facture commune, mais d’un beau coloris. Le musée de Séville offre une scène du même genre, Saint Thomas de Villeneuve distribuant ses aumônes. On prétend que Murillo parlait de cette œuvre avec une préférence marquée. En effet, le saint, mitre et portant la crosse d’évêque, est admirable d’abandon, de bonté, d’humilité, et en même temps de noblesse, chose plus rare chez Murillo. La main qui tend l’aumône est aussi aristocratique que les mains de Velasquez. La lumière, qui passe derrière la tête à la faveur d’une colonne isolée, produit une délicieuse harmonie avec la mitre blanche, dont les reflets sont plus chauds sur un fond gris argenté. En arrière de la colonne, un autre rayon du jour glisse sur la table de travail et sur les livres, pour tomber sur une jeune femme assise à l’écart, à qui son enfant montre la pièce de monnaie qu’il a reçue. C’est le côté intime, gracieux, où Murillo excelle. Les têtes sont modelées à contre-jour, avec un contour lumineux, et les plans sont maintenus dans une ombre égale et dorée. En avant, un homme à genoux, appuyé sur une main, implore son bienfaiteur. Il est vu de dos, en