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les lignes n’ont pas de fermeté. Tout est charme, fraîcheur, duvet, fleur de jeunesse, éclat d’un jour, c’est-à-dire que tout dépend des chairs. Dès que les chairs se fatiguent, la laideur apparaît : les femmes ont dix ans pour être belles et cinquante pour être vieilles. Vous ne verrez point, ainsi qu’en Italie, des mères qui semblent les sœurs de leurs filles et les écrasent de leur splendeur sereine. Les Andalouses, dès que leurs filles ont quinze ans, leur passent le sceptre et se font leurs suivantes. Elles prennent de la duègne le rôle et le visage, elles semblent abdiquer jusqu’à la dignité de mère, car en tous lieux elles cèdent le pas sans vergogne, se placent dans le fond des loges ou sur le devant des voitures, et assistent avec une discrétion impassible aux intrigues que leurs filles nouent et dénouent. Murillo a copié ses vieilles femmes sur le vif ; elles sont décrépites, sans élévation, par exemple dans les tableaux de Sainte Elisabeth et de Saint Thomas de Villeneuve, ou elles servent uniquement de repoussoir.

Les types virils ne sont pas empruntés moins fidèlement à l’Andalousie. Le Christ et saint Joseph, qui se ressemblent si fort qu’on commence par les confondre (je crois même que pour Murillo le père de Jésus-Christ ce n’est pas le Saint-Esprit, mais saint Joseph), sont des Andalous de pur sang. Ils sont beaux, et la barbe cache la partie la moins irréprochable du visage ; leurs yeux sont veloutés, leurs cils ressemblent à de longues franges, les bouches sont sanguines et appétissantes, tous les contours sont moelleux. Une douceur efféminée et je ne sais quelle langueur sont répandues sur l’ensemble des traits, langueur peu chrétienne, qui ne laisse de ressort ni pour l’héroïsme ni pour la souffrance. Les saints et les moines, qui sont le plus souvent sans barbe, présentent plus de caractère. Murillo s’est inspiré du type sec et osseux commun dans la patrie de don Quichotte : il l’a pris bien construit, avec le nez aquilin, la joue cave, l’os frontal saillant, le menton aux tons bleus, l’œil un peu évasé et plus propre, par cette forme, à exprimer l’extase. Il lui est arrivé de copier des modèles abominables, dignes de Ribeira ; mais en général ses extatiques sont beaux, et la fermeté de leurs traits corrige heureusement le regard trop enivré, le sourire trop caressant qu’ils adressent à la Vierge ou au Christ. Quant aux gueux, aux infirmes, aux petits mendians, Murillo les prenait dans la rue, et cependant leur image est adoucie. Velasquez avait une étreinte autrement puissante lorsqu’il fixait sur la toile ces types nationaux.

Je crois que les plus grands admirateurs de Murillo se contentent de vanter son coloris et ne défendent que faiblement son dessin. Le dessin est en effet maniéré à un point qui surprend chez un peintre qui s’attache à la nature. Avec des qualités si heureuses, il n’échappe