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même pas toujours à la vulgarité, qui me paraît plus fâcheuse que des doigts mal finis, des bras contournés, des plis lourds ou des draperies qui voltigent de la façon la moins vraisemblable, car si les fautes n’enlèvent pas à une œuvre son caractère, la platitude du dessin le tue. Murillo est un des coloristes qui perdent le plus à être gravés parce qu’il dessine mal. Il est équitable de rappeler que son éducation avait été très imparfaite, et que plus tard sa facilité fut son plus grand ennemi. S’il produisait beaucoup, il travaillait peu ; il improvisait sur la toile, se fiant aux hasards du pinceau plutôt qu’à cette préparation laborieuse et féconde à laquelle nous devons tant d’esquisses et tant de dessins des maîtres. La postérité doit regretter que l’école de Séville ait quitté la voie où elle avait d’abord été engagée. Les premiers élèves des Italiens avaient pratiqué la peinture à fresque ; assurément aucun procédé n’était plus favorable aux pages religieuses qui devaient couvrir les églises. Murillo, avec sa main rapide, son coloris charmant, eût réussi dans ce genre ; il y eût surtout profité beaucoup, forcé d’arrêter à l’avance sa pensée et de tracer sur des cartons savamment étudiés les compositions qu’il fallait faire passer vivement sur l’enduit. En cela, du reste, il semble avoir agi avec son insouciance accoutumée, car lorsqu’il orna la salle capitulaire de la cathédrale de huit médaillons, il les fit sur toile, sans essayer d’imiter Cespedès, qui avait peint à fresque dans la partie inférieure de cette même salle huit compartimens rectangulaires d’un ton agréable et d’un assez bon dessin.

Le sentiment de la couleur fut pour Murillo un don de naissance. Tous les peintres voient bien la nature : combien ils diffèrent, lorsqu’ils essaient de l’interpréter à l’aide des couleurs ! Alors se découvrent les impressions personnelles, les harmonies plus secrètes, les joies plus intimes, les délicatesses plus rares qu’ils voudraient traduire. Quel musicien ne sait trouver des mélodies ? Cependant tel compositeur a des mélodies plus originales, plus suaves, plus pénétrantes, qui affectent plus richement le système nerveux. Il en est de même de la couleur, qui est la musique des yeux, dont les tons offrent des gammes exquises, dont la lumière, inégalement distribuée sur les corps, doit former des accords délicieux. Le coloris de Murillo est d’ordinaire empâté, consistant, plutôt que vigoureux ; dans les noirs et dans les nus, il couvre bien ses toiles, qui ont résisté au temps, comme celles de Titien. Cependant ses figures présentent parfois une apparence de trouble et de saleté. J’ai cherché à me rendre compte de ce défaut en m’approchant. J’ai vu dans les chairs blanches des coups de pinceau lancés par l’artiste pendant qu’il peignait des cheveux noirs ou les ombres des modelés ; j’ai vu des traits fins et multipliés, des retouches lâchées par l’improvisateur,