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paraît par conséquent la trace de l’action de Dieu. C’est lui-même qui prononce ces solennelles paroles dans ses lettres au docteur Bentley, et qui donc aurait pu s’approprier à plus juste titre l’expression hardie de Fénelon : J’aperçois la main qui fait tout ? Rien de plus beau, rien de plus fortifiant pour l’âme qu’un tel spectacle, je veux dire l’action intelligente et libre du Créateur proclamée par l’homme qui a le mieux compris la mécanique céleste, la croyance universelle du sens commun consacrée par les plus merveilleuses découvertes du génie. Mais Newton ne s’en tient pas là ; emporté par l’enthousiasme, oubliant sa méthode ordinairement si discrète, il prétend connaître immédiatement cette cause première, cet être des êtres, qu’il se contentait d’abord de proclamer à haute voix et d’adorer en silence. Ses vues sont grandes, originales, audacieuses ; peuvent-elles satisfaire aux exigences de la raison ? Non certes ; tant que Newton emploie sa science in proof of a deity, comme il dit, son argumentation est aussi irréprochable que sublime ; lorsqu’il veut expliquer la nature de Dieu et ses rapports avec le monde, il tombe à son tour dans de singulières erreurs. Faute d’une analyse métaphysique assez précise, il confond le temps avec l’éternité, l’espace avec l’immensité ; il croit à un temps infini, à un espace sans limite, et comme l’infini, l’immense, l’éternel, ne peuvent appartenir qu’à Dieu, il en conclut que l’espace et le temps sont quelque chose de Dieu, un attribut de son essence cachée, un rayonnement de sa puissance invisible, c’est-à-dire, en définitive, qu’ils sont Dieu même. Que le grand et pieux Newton ait atténué cette périlleuse doctrine par des explications que lui inspirait son âme chrétienne, qu’il ait toujours affirmé la simplicité, l’immutabilité, la pleine et souveraine indépendance de l’esprit créateur, cela importe assez peu à la question philosophique. Newton est absous, son système ne l’est pas. Son système ? Mais peut-on appeler ainsi cette conception de l’espace ? ne serait-ce pas là simplement une vive image, une métaphore imprudente, ou tout au plus une de ces idées qui ne font que traverser un cerveau en travail ? Non, il s’agit réellement d’une croyance métaphysique. Le disciple et l’ami de Newton, le plus intime confident de sa pensée, Samuel Clarke, ne nous laisse aucun doute à ce sujet. Sous les yeux et avec l’adhésion de son maître, il a développé cette théorie de l’espace et du temps, il en a construit un vaste ensemble, et le dernier mot de son œuvre est toujours cette conclusion : l’espace et le temps sont des attributs de Dieu. Ainsi, malgré tant de découvertes sublimes, malgré de si magnifiques hommages à la personne du Créateur, voilà Newton lui-même ramené aux erreurs qu’il a le plus détestées. — La plus simple logique, remarque M. Saisset, lui impose ce théorème qu’il repousse dans l’auteur de