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l’Éthique : Deus est res extensa. — Le Dieu que Newton a découvert dans les cieux est le Dieu vivant qu’adore le genre humain, le Dieu qu’il a cherché dans le domaine métaphysique offre maintes ressemblances avec le Dieu de Spinoza. Contradictions et faiblesses de l’humaine pensée, même chez le génie le plus mâle ! Ajoutez une autre contradiction non moins regrettable : s’il a été donné à un homme d’entrevoir la majesté de l’ordonnance des mondes, c’est Newton sans doute qui a reçu ce privilège ; eh bien ! Newton fait de la création une œuvre étroite, limitée, indigne du Tout-Puissant, et cet espace immense où il voit un prolongement, un rayonnement de l’essence divine, enferme dans son vaste sein je ne sais quel univers borné, machine imparfaite, ose-t-il dire, qui a besoin d’être remontée sans cesse. Non-seulement donc la théorie de l’espace et du temps conçus comme des attributs de Dieu est contraire à la souveraine immutabilité de l’être des êtres, mais le cosmos de Newton est contraire à l’idée de la puissance infinie, et l’homme qui a découvert la loi de l’attraction universelle a pu être accusé par Leibnitz d’avoir rapetissé la création.

Leibnitz ! voici un nouveau métaphysicien qui s’élance à la poursuite des vérités divines, tant est grande la fécondité philosophique du XVIIe siècle. Les éminens penseurs qui l’ont précédé, Descartes, Malebranche, Spinoza, Newton lui-même malgré son point de départ, ont tous quelque chose d’exclusif ; son originalité, à lui, c’est l’inspiration la plus large et la plus conciliante. Esprit critique et créateur tout ensemble, il s’instruit à toutes les écoles, il amasse par des lectures sans nombre une érudition universelle, et bien loin de s’y laisser engourdir, il y renouvelle sa force d’invention. Son amour des méditations philosophiques se manifeste de bonne heure. Dès l’âge de quinze ans, aux portes de Leipzig, dans ce bois charmant de la Rosenthal, où Schiller laissera aussi de précieux souvenirs, le jeune Leibnitz songeait déjà aux premiers principes des choses. Vingt-quatre ans plus tard, après des études que multipliait sans cesse une curiosité insatiable, armé enfin de toutes pièces, il ouvre ses grandes luttes contre le système de Descartes et le cosmos de Newton. L’erreur fondamentale de Descartes aux yeux de Leibnitz, c’est que rien ne vit dans son univers. La matière, privée d’énergie et réduite à la conception abstraite d’étendue, l’âme humaine sans volonté, sans action propre, pure collection de pensées, et au-dessus de tout cela un Dieu qui apparemment ne possède pas la vie, puisqu’il ne l’a pas répandue au sein de son œuvre, voilà le monde des cartésiens, s’il faut en croire le puissant polémiste. Pour lui au contraire, toute substance est une force. La physique, les mathématiques, l’histoire naturelle, la psychologie, le raisonnement