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— Je ne te demanderai pas le nom de celui que tu aimes, dit-elle à voix basse ; mais souviens-toi que lorsqu’on va faire un vœu d’amour, c’est pour la vie. La route est longue : tu réfléchiras, mon enfant.

Troublée de voir une partie de son secret devinée par son aïeule, Manidette s’enfuit toute rougissante, tandis que, ne pouvant supposer que sa petite-fille, si sage et si réservée, se fût éprise d’un gardian, la vieille femme souriait à l’idée qu’avant peu le rode compterait un saunier de plus. « Raisonnable comme elle est, Manidette aura choisi quelque bon ouvrier des salins, disait-elle. Justement il me semble que sa tristesse a coïncidé avec l’absence de Pierrotte, le premier camelier, qui est parti malade pour son village. Elle va certainement demander son rétablissement aux Saintes-Mariés. Tant mieux ; c’est un bon garçon, je sais que Manidette lui plaît, et comme il n’a pas son pareil pour glaiser une table ou pour disposer une camelle, le salin prospérera rapidement avec lui. »

Heureuse de cette pensée, Fennète reprit joyeusement son balai de bruyère, pendant que, toute confuse, Manidette s’empressait de tourner l’angle du Sansouïre.


III

Manidette marchait vite, elle eut bientôt perdu le rode des yeux. C’était la première fois qu’elle se trouvait ainsi seule dans la campagne, et elle éprouva d’abord un certain effroi à parcourir ces plaines nues, où le bruit de ses pas, sans rompre le silence, s’amortissait dans le sable ; mais bientôt, heureuse de pouvoir penser sans contrainte à celui qu’elle aimait, elle ralentit sa marche et se prit à rêver. On était au printemps. Comme il arrive souvent à cette époque de l’année, de pâles nuages s’élevant de la mer montaient vers le soleil, dont ils tempéraient l’ardeur, et donnaient au rivage ces reflets d’opale qui en font le plus grand charme. Les lignes de l’horizon se fondaient dans le ciel, les teintes un peu crues des marécages s’adoucissaient sous des vapeurs légères, la nature semblait s’entourer d’un poétique réseau, et Manidette se sentit émue aussi bien par la majesté de ce paysage grandiose que par les pensées d’amour qui agitaient son cœur. Elle arriva ainsi devant le Maset. La fenêtre où elle avait vu Paradette causer et rire avec le gardian était fermée. La masure, était redevenue triste et silencieuse ; mais l’image de Bamboche animait ces murs déserts. Comme si elle dût y revoir le beau gardian, la jeune fille s’assit en face de la croisée. La moitié du chemin était faite, et pour se reposer elle resta là quelque temps. Le soleil envoyait déjà sur la lande ses feux les plus éclatans. Depuis le Maset jusqu’à l’horizon, une nappe d’un sable gris et fin étincelait devant elle. Aucun arbre, aucune pierre,