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L’ancien roman, se réduisant au récit, était parfois un peu sec ; nous avons remplacé cette sécheresse par l’exubérance des détails parasites. Pour trop vouloir apprendre les arts de peindre et d’analyser, nous avons presque désappris l’art de raconter.

C’est cet art quelque peu oublié que Mme Reybaud fait revivre parmi nous. Elle ne vise pas à la profondeur et à la philosophie, elle se contente d’amuser et d’émouvoir. Si la nature des passions et des sentimens qu’elle décrit est susceptible d’éveiller quelque réflexion, elle l’indique en passant et sans insister. Elle a pour les personnages qu’elle met en scène le même genre de discrétion que les personnes bien élevées portent dans les relations du monde ; elle expose leurs aventures et leurs malheurs sans les commenter ni en rechercher les causes. Elle ne raconte que ce qui est apparent et extérieur, et n’essaie pas de surprendre les faits invisibles qui ont donné naissance aux péripéties qu’elle déroule. Elle est donc conteuse, et rien que conteuse ; là est son originalité et son charme. Cet art de conter est chez elle un véritable don de nature qu’elle exerce naïvement ; ce n’est pas le résultat d’un effort prémédité et d’une pensée systématique. Elle ne s’est pas dit que le récit devait être la trame et la substance même du roman ; elle ne s’est pas donné pour tâche d’être avant tout concise et rapide, de subordonner ses autres facultés à cette faculté principale de conter. Si elle n’a aucun goût pour l’analyse et la description minutieuse des caractères, ce n’est pas par un parti-pris de sa volonté, c’est par une sorte d’instinct naturel qui lui est commun avec tous ses compatriotes. Comme presque toutes les natures méridionales, Mme Reybaud s’en tient aux apparences, aux surfaces, à l’action extérieure ; le fait suit la pensée sans retard et sans hésitation, le geste accompagne la parole, l’accent marqué la passion, l’aspect accuse le sentiment intérieur. Dès le début de son récit, les sentimens et les passions suivent la pente qui leur est indiquée par la fatalité des situations au milieu desquelles ils apparaissent, comme une source suit la pente des terrains sur lesquels elle doit couler. Dès leur entrée en scène, ses personnages se mettent en marche pour arriver au but qu’ils poursuivent sans dévier de leur route ou faire des haltes trop prolongées, qui retarderaient le dénoûment. À l’inverse de la méthode employée aujourd’hui, l’auteur ne raconte et ne décrit pas le caractère de ses héros pour faire comprendre leurs actes ; mais il laisse raconter leur caractère par ces actes mêmes. C’est, dis-je, une vieille méthode ; mais, si elle est vieille, elle n’en est pas moins bonne, car les écrivains d’autrefois n’en connaissaient pas d’autre, et elle est même la seule que puisse employer en toute sécurité l’écrivain qui se propose de narrer plutôt que de prouver, et qui prend la plume avec la pensée d’écrire un