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d’une visite à sa Provence bien-aimée. Ce sont là les meilleurs de ses récits ; ils se distinguent par une physionomie originale et un accent particulier qui manquent à ceux de ses romans qui sont le résultat de ses lectures, comme Espagnoles et Françaises, Mézélie, la Petite Reine, Madame de Rieux. Ce que l’on doit louer principalement dans ces derniers, c’est cet art du récit qui n’abandonne jamais Mme Reybaud ; soyez sûr cependant que s’il y a un personnage intéressant ou un épisode original dans ces histoires exotiques, c’est un personnage de la France méridionale ou un épisode provençal. Ainsi la meilleure nouvelle du recueil intitulé Espagnoles et Françaises est l’Avocat Loubet, histoire de cours d’assises du temps passé ; ainsi le meilleur épisode de Mézélie, roman de la première manière de l’auteur, mais où ne manquent ni la variété, ni l’attrait, c’est le séjour de Mme d’Effanges et de ses filles chez leurs vieilles cousines d’Avignon. L’intérieur des vieilles demoiselles est peint avec cette science intime qui résulte d’une longue habitude. Partout dans ses récits on sent que l’auteur a son véritable domicile en Provence, et qu’elle n’a partout ailleurs, même à Paris, où elle a séjourné si longtemps, que des pied-à-terre. Comme elle connaît bien, d’instinct et d’habitude plutôt que d’observation attentive et d’étude patiente, ces vives et charmantes populations du midi parmi lesquelles elle a vécu, et comme elle les fait agir et parler familièrement devant nous ! Ce sont parens, voisins et camarades dont elle nous dira les moindres particularités. Elle sait tous les détails du costume et de l’ameublement, le nom du chien, l’âge du chat, et par qui fut donné le singe qui gambade dans l’antichambre. Ce qui est plus précieux encore que ces mille détails amusans, ce sont les traits originaux du caractère de ces populations qu’elle nous présente sans prétention philosophique, et qu’elle nous fait comprendre ou reconnaître. Les voilà bien telles qu’elles sont, ces populations si mobiles en apparence, qui trompent l’observateur superficiel comme trompent certaines physionomies, ces populations qu’il ne faut jamais prendre au mot, et dont l’intempérance de langage dissimule admirablement les véritables sentimens ; fines, rusées, pratiques sous air d’imprudence et de violence, sages sous air de folie ; si humbles et si modestes, qu’elles semblent parfois presque basses, et cependant si bien armées de ce don que le vieux marquis de Mirabeau appelait le don terrible de la familiarité, si lentes et si paresseuses, et cependant si actives, — si pleines de déférence pour le rang, et cependant d’une individualité si opiniâtre. Vous retrouverez sans peine dans les récits de Mme Reybaud les contrastes qui distinguent ce pays de la tradition la plus inébranlable et des coups de main les plus anarchiques, vous y reconnaîtrez