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les palais de Babylone, de la Perse et de Byzance, et fut introduit en France par l’Espagne, les Flandres et l’Italie. La richesse et la dimension des étoffes, l’éclat des couleurs, n’étaient pas les seules conditions recherchées : on voulait surtout représenter dans ce genre, comme le font de leur côté la peinture, la sculpture et la mosaïque, ces grandes scènes historiques ou religieuses qui rappellent les hauts faits des rois et des armées, des saints et des prophètes. Il fallait pour cela une pureté de dessin, une harmonie de composition et de nuances qui permît de placer cette industrie au rang des travaux d’art, et fît parfois confondre l’œuvre du peintre avec l’œuvre du tapissier. Les Gobelins cherchèrent encore à perfectionner cet art antique de l’Orient, exploité déjà par les grandes communautés religieuses du moyen âge, qui, les premières, au retour des croisades, avaient compris l’importance de ces étoffes décoratives. La tapisserie de haute lisse était ainsi depuis longtemps devenue un art français, lorsque le gouvernement en centralisa les divers procédés dans l’hôtel des Gobelins.

La création de la première manufacture royale de tapisseries remonte à l’année 1539. Les peintres et les architectes les plus célèbres furent appelés à diriger cette importante fabrication, dont le siège fut placé à Fontainebleau. Depuis ce moment, il est aisé de reconnaître, dans les produits de chaque règne, les influences diverses auxquelles durent se soumettre des artistes préoccupés avant tout de satisfaire le goût du souverain. Au XVIe siècle, le Primatice et son école cherchent volontiers à charmer le regard, sans prétendre au relief et au trompe-l’œil. Les artistes se souviennent alors qu’il s’agit non pas de tableaux, mais de tentures accrochées à la muraille, libres et flottantes, que les laines et les soies ont des couleurs spéciales, des éclats, des reflets particuliers, auxquels le goût et l’expérience doivent se soumettre. Raphaël, ainsi que le démontrent les cartons d’Hampton-Court, bien loin d’imposer au tapissier l’imitation servile de ses compositions magnifiques, acceptait au contraire toutes les conditions inhérentes au travail du tisserand et du teinturier. Il n’oubliait pas que dans cette fabrication il existe des effets spéciaux, étrangers à la peinture, résultant de la striure du tissu et des fils de soie, d’or ou d’argent, qui l’enrichissent ; ce qui lui importait, c’était la grande tournure de l’ensemble, c’était l’effet produit, c’était enfin la pureté des lignes et l’harmonie des tons. Lorsque le dessin est irréprochable, lorsque la loi des accords de couleur est respectée, les effets de lumière, d’ombre et de relief ne sont plus qu’un accessoire dont l’art peut se passer. Les fresques anciennes, qui avaient pour but de décorer les murs sans tromper le regard, en sont une preuve évidente.