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Jusqu’en 1560, la manufacture de Fontainebleau respecta les conditions véritables de l’étoffe et ne franchit pas ces limites du bon goût. Au XVIIe siècle, où le type français dans les arts prend une allure décisive, ce n’est ni par un sentiment bien puissant de la forme, ni par un coloris bien lumineux, ni par des lignes bien pittoresques que se distingue notre école, mais plutôt par l’arrangement, la méditation et le bon sens. L’influence du Poussin, de Lesueur et de ses élèves fait prédominer le dessin sur la couleur. On copie ces grands maîtres tels quels, au lieu de leur demander des cartons calculés pour la décoration des tapisseries. Dès lors les difficultés naissent, la grande tradition se perd. Lebrun et son école toute française, puis l’académie de gravure établie aux Gobelins et dirigée par Sébastien Leclerc, ne songent plus qu’à l’imitation servile et complète de la peinture à l’huile. Ils s’appliquent à faire oublier complètement le tissu, et on se demande à quoi bon prendre de la laine et du canevas pour arriver si péniblement et si aveuglément à un résultat que le pinceau obtient avec tant d’aisance par un procédé plus large et plus intelligent. Toutefois, sous Louis XV, on revient à des principes plus rationnels. Les porcelaines et les étoffes de la Chine et de l’Inde font irruption et éclairent les artistes sur les lois de la couleur ; mais aussi on se jette dans l’excès contraire. La grande forme, le style élevé, le style royal, si nous pouvons ainsi dire, est abandonné. Les bergères remplacent les déesses, et si les-conditions de l’étoffe sont respectées, le dessin a perdu de sa noblesse et de sa pureté. Après cette époque, où la décoration triomphe, mais où l’art élevé décline visiblement, une réaction se fait encore. Le XIXe siècle, avec ses fougues et ses emportemens, détruit tout, par la conviction profonde qu’il fera mieux que ses devanciers. Dès lors tout ce qui restait de traditions se perd, des sentiers s’ouvrent, sentiers trop souvent dangereux et mal connus. C’est là notre état actuel ; il mérite assurément qu’on recherche la source du mal et qu’on essaie d’indiquer le remède, plus simple peut-être que nous ne l’avons cru jusqu’à présent.


I

Dès la fondation de Byzance ou, pour mieux dire, dès que les Romains se mirent par leurs conquêtes en contact avec l’Orient, l’usage de la soie et l’art de tisser les étoffes ornées de figures et d’arabesques se répandirent surtout en Espagne et en Italie. Les modèles de la Perse et de l’Inde, venus par Constantinople et Trébizonde à Palerme, à Lucques, à Cordoue, Grenade ; Venise et Gènes, en un mot dans toutes les villes d’Europe qui, dès le VIIe siècle,