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trantes analyses de M. Saisset pour débarrasser cette grande question des ombres qui l’obscurcissent. Tout ce chapitre est remarquable de précision et de vigueur. Proclamer l’infinité de l’univers sans confondre l’œuvre divine avec celui qui seul possède la vie sans commencement ni fin, maintenir l’idée de la création sans rien admettre d’accidentel et de capricieux dans l’éternelle sagesse, tel était le double problème à résoudre, et il l’a résolu en maître. Les pages où M. Émile Saisset a résumé sa pensée sur l’infinité des mondes méritent d’être citées comme un modèle de langage philosophique. « Quand j’essaie, dit-il, de donner une limite à l’univers, au moment où mon imagination la pose, ma raison la supprime en me forçant de concevoir un univers plus vaste, plus riche, plus complet, de nouvelles étoiles, de nouveaux mondes, des formes d’existence de plus en plus variées… Combien cette pensée de l’infinité des mondes est sublime ! Je m’y livrerais sans le moindre scrupule, si je ne venais à me souvenir qu’elle a été introduite dans le monde moderne par un panthéiste, le hardi et infortuné Bruno. Serais-je donc ressaisi par le panthéisme au moment où je croyais lui avoir échappé pour toujours ? De ce que l’univers n’a point de limites, ni dans le temps, ni dans l’espace, ni dans le nombre, l’espèce et le degré de ses parties, s’ensuit-il que l’univers soit éternel, immense et infini comme Dieu même ? Non, ce n’est là qu’un vain scrupule, enfant de l’imagination et non de la raison. L’imagination confond sans cesse ce que la raison doit sans cesse distinguer : l’éternité et le temps, l’immensité et l’espace, l’infinité relative et l’infinité absolue. Le Créateur seul est éternel, immense, absolument infini ; la créature est répandue dans l’espace et dans le temps, sujette à la division et à la limite. Ce temps, dans l’écoulement inépuisable de ses instans, fait effort, si je puis ainsi dire, pour imiter l’éternité, autant que la nature le comporte. L’espace, par le déploiement infini de ses étendues, exprime aussi de son mieux l’immensité. En général, l’évolution inépuisable des choses finies représente, autant que la nature du fini le peut souffrir, l’évolution intérieure de la vie divine. Et cependant il reste toujours entre le modèle et l’image, entre la cause et l’effet, avec une certaine proportion, une différence infinie, non-seulement dans le degré des perfections, mais dans l’essence. Siècles, espaces, étoiles, plantes, êtres intelligens, terre et cieux, tout cela reste variable, incomplet, contingent, incapable d’être et de subsister par soi ; tout cela est donc enfermé d’une façon ineffable dans les profondeurs de l’être par soi, qui enveloppe les siècles de son éternité, les espaces de son immensité, les êtres changeans de son être immuable, seul vraiment infini, seul complet, seul en pleine possession de l’existence absolue. Me voilà donc, ce