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me semble, préservé tout à la fois du panthéisme et de la superstition. J’avais peur du Dieu abstrait de Spinoza et de Hegel ; mais j’avais peur aussi d’un Dieu humanisé, d’une création accidentelle arbitraire et capricieuse. Mes craintes sont dissipées. Je conçois un Dieu qui n’est pas l’être en puissance, germe stérile incapable de se féconder lui-même, mais l’être en acte, l’être parfait, possédant la vie parfaite, la vie de la pensée et de l’amour, et puis, comme expression de ce Dieu, un monde qui en imite autant que possible l’infinité, n’étant pas le produit éphémère du caprice et du hasard, mais l’ouvrage d’une toute-puissance infinie dirigée par la sagesse et inspirée par la bonté… »

Ce ne sont pas seulement les spéculations métaphysiques qui découvrent à nos intelligences éblouies l’infinité du monde ; les faits eux-mêmes, autant qu’on les peut consulter en telle matière, viennent confirmer de siècle en siècle cette conception sublime. Depuis l’immense essor des sciences mathématiques et physiques, les génies les plus fermes, les plus augustes prêtres du cosmos, ces hommes du XVIIe siècle, qui vivaient pour ainsi dire au sein de l’infini, ont proclamé tous, à l’exception d’un seul, le caractère infini de la création. Pascal, le grand chrétien, ne croyait pas que cette vérité pût porter ombrage aux divins mystères du christianisme ; il l’exposait avec un enthousiasme mêlé d’épouvante et d’amour, et la défendait au nom du christianisme lui-même contre les argumens de toute sorte que lui opposaient les consciences timorées. Si Newton, dans son ardeur à contredire toutes les idées cartésiennes, n’admettait qu’un univers borné, Leibnitz l’accusait d’abaisser à la fois et la création et le Créateur. Au moment où ce grand esprit affirmait si magnifiquement le principe que tout dans l’univers va à l’infini, le microscope, aux mains de quelques observateurs immortels, découvrait un infini d’ordre, de rapports, de gradation, jusque dans le monde de l’infiniment petit. Les travaux de Swammerdam sur les insectes, d’Antoine Leuwenhoeck sur les veines et les artères, de Marcel Malpighi sur la structure anatomique, toutes ces découvertes si précieuses, qui montrent dans l’œuvre de la nature une suite de degrés, de transformations, dont le commencement et la fin nous échappent, confirmaient les vues grandioses de Leibnitz et lui arrachaient des cris de joie. La démonstration est plus éclatante encore au XVIIIe siècle, puisqu’elle est fournie souvent par des esprits qui n’en comprennent pas la portée. Que de percées profondes depuis cent ans au sein du double infini qui nous enveloppe ! C’est dans la période des Laplace, des Lagrange, des Lamarck, que William Herschell compte vingt millions d’étoiles dans la voie lactée, et Ehrenberg quarante millions d’animalcules dans un pouce cubique de tripoli.