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d’oisiveté qu’ils passent loin du turf. C’est surtout le soir qu’il faut visiter les écuries de lord Stamford ; à la lumière du gaz qui éclaire les formes légères et vaillantes de ces merveilleux coursiers, on dirait un château des contes arabes.

Il existe plusieurs autres établissemens du même genre, quoique moins somptueux, à Newmarket ; mais, avant d’insister sur le caractère de ces écuries, ne convient-il pas de nous faire une idée nette de ce que les Anglais appellent cheval pur sang, thorough bred, ou cheval de course, race horse ? Pour cela, j’aurai recours aux lumières d’un membre du Jockey-Club qui a passé sa vie à étudier pour son plaisir la question du turf. L’éducation du cheval anglais a été une œuvre lente, successive, méthodique ; elle a commencé avec les anciens Bretons et se continue, réfléchissant de siècle en siècle les traits de la société qui se développe. Je ne m’attacherai d’ailleurs qu’au race horse. Ce dernier apparaît tard dans l’histoire ; il y avait des courses en Angleterre avant qu’il n’y eût des chevaux de course. On admettait d’abord tous les chevaux qui montraient de la force et de la vitesse, sans trop avoir égard à leur naissance. Ce n’est guère qu’après la restauration qu’on voit se dégager une classe de coursiers entièrement consacrés au turf. Charles II, à l’exemple de Jacques Ier, de Henri VIII et de plusieurs autres rois ses prédécesseurs, avait porté son attention sur le perfectionnement de la race chevaline. Il avait même envoyé un des officiers de sa maison acheter au loin des jumens bien connues sous le nom de jumens royales, royal mares, et d’où descendent plus ou moins les modernes chevaux de course, racers. Cromwell lui-même avait laissé les débris d’un haras célèbre ; son fameux Turc-Blanc, White Turk, figure avec honneur dans les annales du sport, et lorsque les royalistes firent main-basse sur les dépouilles du protecteur, ils trouvèrent cachée dans le caveau d’une église une jument de prix à laquelle on donna, par suite de cette circonstance, le nom de Cercueil, Coffin Mare. Il faut néanmoins arriver au commencement du dernier siècle pour trouver les véritables ancêtres dans la famille des chevaux pur sang. Un des plus anciens est le Darley Arabian, ainsi appelé parce qu’il appartenait à M. Darley et qu’il avait été élevé près d’Alep, dans le désert de Palmyre. Il eut des descendans illustres, parmi lesquels Flying Childers, dont l’histoire ressemble presque à une légende, tant on lui prête sur le turf des exploits héroïques. Plus de vingt années s’étaient écoulées depuis que M. Darley avait démontré la valeur du sang arabe, lorsque lord Godolphin acheta par hasard un cheval d’une forme singulière auquel on a donné le nom de Godolphin Arabian. Les turfites disputent pourtant encore sur une question : était-ce un arabe ou un barbe ? Dans tous les cas, la carrière