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sa correspondance. Et quel est le mobile de cet hommage réfléchi rendu à celui qui commençait sa carrière par la proscription dès 1815 pour la finir comme ministre du pape sous le poignard d’un sectaire en 1848 ? M. Boncompagni me l’écrivait récemment : « pendant le peu de temps que j’ai été dans la diplomatie, le rouge me montait au visage chaque fois que, parlant de l’indépendance et de la liberté de l’Italie, on me jetait à la face l’horrible souvenir de l’assassinat de Rossi. Dès lors je résolus de provoquer un acte public qui fît connaître à l’Europe que les libéraux italiens étaient du côté de la victime, et non du côté des assassins… » Rossi était en effet un précurseur dans l’ordre des révolutions contemporaines de l’Italie. Cette unité qui semble aujourd’hui sortir vivante du sein de la péninsule, qui est le mot de ralliement d’un peuple, il l’avait entrevue et servie un jour de sa jeunesse, lorsqu’elle n’était que le rêve de quelques hommes rassemblés sous un drapeau d’aventure entre deux catastrophes européennes. Cette crise du pontificat temporel se débattant entre l’impossibilité de rester ce qu’il est et la difficulté de s’adapter à un ordre nouveau, il l’avait observée avec une inexorable sagacité dans un moment décisif, lorsque peut-être on eût pu encore la conjurer ; il l’avait suivie sans illusion, et sans illusion aussi il faisait la dernière tentative possible pour en suspendre le dénoûment. Son court ministère à Rome en 1848 apparaît aujourd’hui à la lueur des événemens comme le suprême effort d’un négociateur intelligent qui jusqu’au bout, jusqu’à la mort, défend le terrain d’une transaction. Ces principes d’une civilisation libérale enfin que l’Italie aspire depuis si longtemps à s’approprier, il les avait développés dans ses ouvrages avec une éloquence toujours vive, souvent illuminée d’éclairs. Par tous les hasards de sa vie, par tous les instincts de sa nature, par son esprit, par ses opinions, Rossi est tout entier de cette révolution de liberté et d’indépendance qu’il eût voulu peut-être modérer quelquefois, qu’il pressentait certainement, et qu’il n’eût pas désavouée, je crois, dans ses résultats généraux et définitifs, s’il eût échappé à cette mort cruelle qu’il recevait d’un visage impassible et fier, s’il eût assez vécu pour voir comment les explosions nouvelles naissent inévitablement des réactions obstinées.

Tout se lie dans l’histoire d’un peuple, et ce qu’on voit aujourd’hui au-delà des Alpes, ce qui s’accomplit par la main du Piémont, on le vit un instant rêvé, tenté, vaguement ébauché dans un épisode resté à demi obscur du commencement du siècle. À considérer en effet cette unité qui semble le dernier mot des métamorphoses italiennes, à la considérer dans ce qu’elle a de réel et de politique, c’est une idée toute moderne, née de la révolution française, de