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l’empire et de l’organisation de 1815. Je ne veux point dire qu’elle procède uniquement de cette source, et qu’elle ne se complique d’une multitude de souvenirs et de traditions du passé ; au fond, c’est surtout l’empire qui a travaillé, peut-être à son insu, pour l’unité actuelle en brisant les vieux cadres de la vie traditionnelle et locale, en renouvelant la face de la péninsule, en semant partout le même goût d’un ordre nouveau et les mêmes institutions civiles, en suscitant un sentiment national agrandi qui pénétrait peu dans les masses il est vrai, mais qui gagnait déjà les têtes intelligentes, et, chose curieuse, l’empire disparaissant tout à coup, cette idée d’unité faisait instantanément son apparition. À ce moment même, au milieu de ces restaurations mal assises, lorsque Napoléon était encore à l’île d’Elbe et que tout était incertain en Europe, quelques hommes liés par le sentiment d’un malaise commun, enflammés par les événemens prodigieux du temps, s’agitaient à Milan, à Bologne, à Turin, à Gênes, pour refaire de l’Italie une nation indépendante de toutes les dominations, de celle de la France qui s’en allait aussi bien que de celle de l’Autriche qu’on voyait venir. Et quel prince choisissaient-ils pour réaliser leur dessein ? Napoléon lui-même d’abord, à qui ils offraient la couronne d’empereur des Romains et de roi d’Italie « par la grâce de Dieu et la volonté du peuple. »

Ce n’étaient pas des séides d’un homme cherchant à relever un despotisme, c’étaient des généraux, des magistrats, des hommes d’élite des diverses parties de la péninsule, libéraux d’intelligence, patriotes de cœur, qui rêvaient peut-être, mais qui voulaient faire une Italie unie de nationalité, libre par ses institutions, impériale sans esprit de conquête, ayant son centre et sa capitale à Rome, sauf à se mettre, comme aujourd’hui, à la recherche de conditions nouvelles pour la papauté. Ils prenaient leurs garanties et avaient fait une constitution. Un parlement devait se réunir alternativement à Rome, à Milan et à Naples. Un comité d’exécution se tenait à Turin, puis à Gênes, pour être plus près de l’île d’Elbe, où le projet n’était point inconnu. Napoléon écoutait ce songe qui ne lui était pas venu dans la prospérité, qui devait lui revenir plus tard dans son exil de Sainte-Hélène, et il répondait en s’exaltant lui-même, en sondant cet horizon d’une destinée nouvelle qu’on ouvrait devant lui. « J’ai été grand sur le trône de France, disait-il, principalement par la force des armes et par mon influence sur l’Europe entière ; mais le caractère distinctif de mon règne était toujours la gloire des conquêtes. À Rome, ce sera une autre gloire aussi éclatante que la première, mais plus durable et plus utile… Je ferai des peuples épars de l’Italie une seule nation, je leur donnerai l’unité de mœurs qui