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n’ont pas disparu de l’Arabie, et on en compte au moins douze ou quinze cents à Aden seulement. Ils s’y montrent sous leur plus triste aspect et dans leur saleté la plus hideuse. Les métiers qu’ils exercent de préférence sont ceux de maçons et de plâtriers ; ils aiment aussi à travailler l’argent et à préparer les plumes d’autruche. À Steamer-Point, ils louent aux passagers des ânes, des mules et des voitures ; mais partout ils sont honnis, et le dernier des Soumalis n’a pas d’expression assez forte pour exprimer son dédain contre le Juif.

Quant aux Indiens, ils composent la portion la plus notable de la population d’Aden. Presque tous sont mahométans. Ils se sont arrêtés dans la ville arabe en route vers La Mecque ou de retour de ce grand pèlerinage, que tout bon croyant doit accomplir au moins une fois dans sa vie. Aden offre ainsi aux musulmans de l’Inde une étape avantageuse, et beaucoup, au milieu des fructueuses occupations qu’ils y trouvent, oublient entièrement et la Kaaba et le prophète. Les cipayes de l’armée anglaise, les domestiques des Européens et des Parsis, les marchands banians figurent aussi au nombre des Indiens ; mais parmi eux une grande partie ne suit pas la religion de Mahomet ; ils sont restés fidèles à l’antique culte de Brahmah. Pour les Parsis, ils continuent, comme au temps de Zoroastre, d’adorer le feu et le soleil. À Aden, à Steamer-Point, comme à Bombay et dans toute l’Inde, ils n’ont pas abandonné la vieille foi de leurs pères, et voient toujours dans les quatre élémens, mais surtout dans le feu, une émanation de l’être suprême. Les Parsis n’enterrent pas leurs morts ; ils les abandonnent à l’action de l’air et des oiseaux de proie. Au milieu de l’espace libre entre les fortifications d’Aden s’élève une tour en maçonnerie dans laquelle sont déposés les cadavres, et où viennent s’abattre les corbeaux. Les ossemens sont ensuite jetés dans une fosse commune au pied de la tour. Cette façon étrange dont les Parsis traitent leurs morts contraste singulièrement avec les habitudes musulmanes. Les cimetières arabes d’Aden et de Steamer-Point annoncent en effet le plus grand respect des morts, et c’est là d’ailleurs un des points sur lesquels la loi du prophète s’explique catégoriquement.

Les Parsis ont un temple à Aden, mais je n’ai pu ni le visiter, ni demander aux mages qui le gardent si le feu entretenu avec tant de soin dans cette chapelle vénérée provient de celui qu’alluma Zoroastre il y a quatre mille ans, et si on l’alimente toujours avec du bois de rose et de sandal. Cowasjee, le marchand guèbre de Steamer-Point, ne m’a pas non plus renseigné sur ces détails ; dans tous les cas, je n’ai jamais pu obtenir de lui du feu pour allumer mon cigare, jamais je ne l’ai vu fumer, jamais il n’éteint lui-même