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le zèle chrétien entraînait l’évêque au-delà des devoirs que commande la religion; mais lorsque ces doutes, légèrement entachés d’égoïsme, ont fait sentir leur aiguillon, elles ont levé les yeux vers le visage de l’évêque, et elles y ont lu la condamnation de leur jugement téméraire.

Quant à Mgr Myriel, que le peuple de son diocèse a surnommé justement Monseigneur Bienvenu, il réalise à la lettre le type des vertus que, dans notre âge de fer, nous nous plaisons à placer dans l’âge d’or de la primitive église. Cet homme original pratique ses devoirs envers les indigens comme s’il était contemporain de l’épître de saint Jacques, et respire l’amour chrétien comme s’il avait été ordonné évêque par l’apôtre bien-aimé. On dirait que les paroles de Jésus et de Paul ne viennent que d’entrer en lui, tant les actes de sa charité ont de fraîcheur et de verdoyante fertilité. Quand il prit possession de son diocèse, il trouva que les salles de l’hôpital étaient bien étroites pour les malades qu’il devait contenir, et il ouvrit une succursale dans son propre hôtel; chassé par les pauvres, il se réfugia lui-même dans leur asile, et vint habiter un modeste appartement dans la maison de l’hôpital. C’est là qu’il vivait avec une somme de mille francs, difficilement prélevés sur le traitement d’évêque que l’état lui accordait, et qu’il rendait aux pauvres. Un jour cependant on l’entendit se plaindre de l’exiguïté de ses ressources. « Je suis bien gêné, dit-il. » Et il songea à réclamer la rente qui lui était due pour frais de tournées pastorales. Dès qu’il l’eut obtenue, il se trouva réellement dans l’opulence, sa charité ayant plus à donner.

Pour n’être pas faites en carrosse, ses tournées pastorales n’en étaient pas moins accomplies avec diligence et exactitude. L’évêque visitait les parties les plus reculées et les plus inaccessibles de son diocèse, monté sur un âne, sans crainte des quolibets des malicieux et des beaux-esprits. Il eut mime à cette occasion un de ces mots charmans et sans réplique qui ferment pour toujours la bouche aux malveillans : « Monsieur le maire et messieurs les bourgeois, dit-il un jour que les habitans d’une petite ville riaient de le voir voyager ainsi, je vois ce qui vous scandalise; vous trouvez que c’est bien de l’orgueil à un pauvre prêtre de monter une monture qui était celle de Jésus-Christ. Je l’ai fait par nécessité, je vous assure, et non par vanité. » L’évêque a de ces paroles que trouvent seules les âmes désintéressées d’elles-mêmes et chez lesquelles aucune vanité personnelle ne vient contrarier, obscurcir ou émousser l’expression de la justice et de l’amour. Parmi les mots nombreux que rapporte M. Hugo, dont quelques-uns sont, selon toute apparence, historiques, et qui témoignent tous d’une nature angélique, il en est un vraiment admi-