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rable dans sa simplicité, car il est l’expression accomplie de cette vertu propre à la foi parfaite qui s’appelle la confiance en Dieu, vertu rare et que connaissent seules pleinement les âmes qui sont chrétiennes sans alliage d’aucune autre doctrine. L’évêque s’était obstiné à visiter certaines communes placées dans des défilés de montagnes infestés par la bande d’un brigand nommé Cravatte. La force morale et la vertu, qui exercent leur empire jusque sur les bandits, avaient protégé Mgr Myriel. Il avait accompli en toute sécurité sa mission périlleuse, et, avant de s’en retourner, il voulut remercier Dieu, et fit annoncer un Te Deum, mais, lorsqu’on dut le chanter, il ne se trouva plus d’ornemens pontificaux. Au milieu de ce grand embarras, une caisse fut apportée par deux cavaliers inconnus. « On ouvrit la caisse; elle contenait une chape d’or, une mitre ornée de diamans, une croix archiépiscopale, une crosse magnifique, tous les vêtemens pontificaux volés un mois auparavant au trésor de Notre-Dame d’Embrun. Dans la caisse, il y avait un papier sur lequel étaient écrits ces mots : Cravatte à monseigneur Bienvenu. — Quand je disais que tout s’arrangerait! dit l’évêque; puis il ajouta en souriant : A qui se contente d’un surplis de curé. Dieu envoie une chape d’archevêque. — Monseigneur, murmura le curé en hochant la tête avec un sourire, Dieu ou le diable. — L’évêque regarda fixement le curé et reprit avec autorité : Dieu. » Le mot est trop simple pour n’être pas historique; mais, si par hasard il est de l’invention de M. Hugo, il lui fait le plus grand honneur, car il est vraiment digne d’avoir été prononcé par le noble chrétien qu’il met en scène.

Cette première partie, qui est si bien et si convenablement placée à l’entrée du monument, n’est pas exempte de défauts. Elle contient de réelles beautés, et pourtant il me semble qu’on serait plus près de la vérité en disant qu’elle contient plutôt un très grand nombre de belles lignes qu’un grand nombre de belles pages, à chaque instant, une pensée ou un sentiment brillant d’un doux éclat illumine la page, mais cet éclat glisse et disparaît presque aussitôt. Vous diriez ces rayons rapides et sans cesse renaissans qui luisent comme un sourire sur les ciels blafards et brouillés de blancs nuages des premières journées du printemps. Voilà, je crois, l’image aussi exacte que possible du livre que M. Hugo intitule un Juste. L’onction y est un peu pénible, la douceur religieuse légèrement exagérée; on dirait que l’âme de l’écrivain a du faire effort, comme le soleil d’avril, pour produire ces traits de tendre lumière. Cette longue description du personnage de Mgr Bienvenu aurait gagné peut-être à être abrégée et concentrée; tous ces rayons épars, rapprochés et condensés, auraient produit une belle nappe de lumière également