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je les ai effleurées, je ne l’ai fait que pour éclairer et compléter mes jugemens. Je n’essaierai pas davantage de prononcer un jugement littéraire absolu, non par hésitation, mais par prudence et justice. Dans une œuvre de cette étendue, il y a nécessairement des parties inégales, et tel défaut que nous pourrions signaler perdra peut-être beaucoup de son importance lorsque l’œuvre sera entièrement connue. Prononcer un jugement absolu sur ces deux volumes serait à peu près comme juger un édifice en voie de construction. Dans toute œuvre de M. Hugo, il faut faire une part très large à tout ce qui est procédé et main-d’œuvre, charpente, maçonnerie, étais, arcs-boutans; mais qui donc a jamais fait un reproche aux cathédrales des arcs-boutans peu gracieux et assez gauches qui les soutiennent? Ce sont là détails d’architecture ou plutôt de maçonnerie, dont l’importance disparaît lorsqu’on contemple l’édifice dans son ensemble, et qui d’ailleurs trouvent leur excuse dans des raisons de solidité. Sans ces gauches et laids appuis, l’ogive ne pourrait pas ouvrir sa courbe étroite, profonde et gracieuse, les délicates colonnes ne pourraient prendre leur vol jusqu’à la toiture, le clocher ne pourrait s’élancer au ciel d’un jet aussi hardi, et la large façade ne pourrait étaler avec une telle profusion le luxe de ses dentelles de pierre et les légions de ses statuettes. De même dans les œuvres de M. Hugo telle métaphore énorme n’existe que pour amener et en quelque sorte traîner après elle une beauté poétique de premier ordre, tel incident pénible et maussade n’existe que pour servir de point d’appui à quelque brillante sculpture qui se découvrira plus tard. On comprendra donc sans peine pourquoi   nous nous abstenons de tout jugement général et absolu; nous ne voulons pas nous exposer à prendre un piédestal pour une statue, un arc-boutant pour une partie de l’édifice.


EMILE MONTEGUT.