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DOMINIQUE

SECONDE PARTIE.

Quelques semaines après[1], M. d’Orsel se rendait à une ville d’eaux, sous prétexte de promenade et de santé, mais en réalité pour des raisons particulières que tout le monde ignorait, et que je ne connus qu’un peu plus tard. Madeleine et Julie l’accompagnaient.

Cette séparation, dont un autre aurait gémi comme d’un déchirement, me délivra d’un grand embarras. Je ne pouvais plus vivre à côté de Madeleine à cause de timidités soudaines qui toutes me venaient de sa présence. Je la fuyais. L’idée de lever les yeux sur elle était un trait d’audace. À la voir si calme quand je ne l’étais plus, à la trouver si parfaitement jolie, tandis que j’avais tant de motifs pour me déplaire avec ma tenue de collège et mon teint de campagnard mal débarbouillé, j’éprouvais je ne sais quel sentiment subalterne, comprimé, humiliant, qui me remplissait de défiance et transformait la plus paisible des camaraderies en une sorte de soumission sans douceur et d’asservissement mal enduré. C’était ce qu’il y avait eu de plus clair et de fort troublant dans l’effet instantané produit par la soirée que je vous ai dite. Madeleine en un mot me faisait peur. Elle me dominait avant de me séduire : le cœur a les mêmes ingénuités que la foi. Tous les cultes passionnés commencent ainsi.

Le lendemain de son départ, je courais rue des Carmélites. Olivier habitait une petite chambre perdue dans un pavillon élevé de

  1. Voyez la Revue du 15 avril.