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de sentiment sincère, d’émotion sympathique ou de franche gaîté. Aussi quelle joie lorsqu’on nous rouvre ce pays enchanté où se jouait une imagination charmante, peu soucieuse d’alourdir du poids de nos vulgarités les créations de sa fantaisie ! Avec quel mélancolique plaisir nous avons applaudi cet hiver le délicieux proverbe d’Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour! Et que répondre à ceux qui prétendant que cette grâce, cette gaîté, ce sourire, ces larmes, s’évaporent par-dessus la rampe sans parvenir jusqu’au spectateur? Ce malheur ne serait pas arrivé, si Alfred de Musset avait songé à remplir les poches de Perdican et de Rosette des lingots de la comédie à argent ou du gobelet de la comédie à surprises : on n’y pensait pas de son temps.

Mais ce n’est pas de l’héritage d’Alfred de Musset qu’il s’agit; c’est de celui de M. Scribe. Comme lui, M. Sardou a abordé le Théâtre-Français après de nombreux succès sur les théâtres inférieurs, et il y a encore ce point de ressemblance, que, si la Papillonne n’est pas une merveille, Valérie assurément n’était pas un chef-d’œuvre. Que de différences pourtant! En offrant à la Comédie-Française cette Valérie, roman dialogué, accommodé au goût des lectrices de Mme de Krudner et de la duchesse de Duras, M. Scribe débutait à coup sûr; il ne livrait rien à l’aventure et au hasard; il prévoyait et raisonnait son succès; il savait que, grâce au talent de Mlle Mars, ce roman sentimental et médiocre deviendrait assez intéressant pour être supporté par les connaisseurs les plus difficiles, même dans le voisinage d’Elmire et de Célimène. A présent on n’y met plus tant de façons. Il est si bien avéré que le Théâtre-Français n’est plus que le primus inter pares, l’égal de ses inférieurs, qu’il lui a semblé urgent de demander précipitamment une pièce à M. Victorien Sardou, mis en évidence par trois ou quatre succès de vogue. M. Sardou n’avait rien de prêt, rien de conçu ou d’écrit en vue de notre première scène, qui aujourd’hui encore devrait avoir le droit d’exiger en pareil cas, sinon une métamorphose, au moins un changement de toilette. N’importe : on voulait à tout prix du Sardou, et M. Sardou s’est exécuté; il a donné la Papillonne, une sorte d’odyssée bouffonne qui aurait peut-être réussi sur un théâtre voisin, mais qui, jouée entre la Loi du Cœur et l’Honneur et l’Argent, a fait l’effet d’une folie de carnaval entre deux convois de première classe. Tout l’avantage qu’en auront retiré le théâtre et l’auteur a été de lancer M. Got sur les traces de Ravel ou d’Arnal et de faire éclater le rire sonore de Mlle Brohan dans le rôle d’une fausse Mme de Léry, doublée d’une soubrette vieillie. Cet échec, nous le répétons, serait insignifiant et déjà oublié, si l’on eût suivi la première inspiration de l’auteur et retiré la Papillonne; mais c’est ici le lieu de signaler un autre détail, produit naturel de notre nouveau régime dramatique. Comme la question d’argent domine tout, et comme on est à peu près sûr, passé le premier soir, de voir accourir sur la foi d’un nom accrédité cette affluence complaisante qui a besoin de spectacles et qui