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grées, les bohémiens errans; à la suite de tout cela, les maladies, la peste, la famine, et toutes les misères que le grand artiste lorrain, Callot, a décrites. M. Feillet a donné de tant de malheurs, qu’il observe avec soin dans plusieurs provinces devenues aujourd’hui françaises, une peinture énergique, et son étude d’après Gallot est particulièrement spirituelle et fine; mais est-elle bien dans son sujet ? Que pouvait alors l’administration française dans la Lorraine et dans l’Artois, qui ne faisaient pas partie de notre territoire, et les souffrances de la Bourgogne n’étaient-elles pas un effet de la guerre étrangère? De nos jours, où l’administration s’est tant perfectionnée. imaginons une guerre de trente années ou de dix seulement: où en seraient, dans quelque pays que ce soit, l’agriculture et la richesse publique? Dira-t-on que la supposition est impossible, et que cela démontre la jouissance d’une meilleure machine gouvernementale? — Non, cela démontrerait plutôt le développement de la raison publique et le progrès général, et dans l’ancien régime aussi l’administration royale est solidaire de ces mobiles supérieurs; elle n’est pas seule coupable, il ne faut pas lui imputer toutes les misères.

Quant à la fronde, nous n’en sommes plus à croire, il est vrai, qu’elle n’ait été qu’une guerre de bons mots et de couplets; nous savons à présent qu’il y avait sous cette agitation malsaine quelques idées de réforme politique attestant chez ceux qui les avaient conçues une intelligence vive des destinées de notre pays, unie à des passions démagogiques qui n’étaient rien moins que de fort sinistres présages; l’on se rappelle la conversation de Gondi avec le prince de Condé dans le jardin de l’archevêché, les pendaisons de l’Ormée à Bordeaux, ainsi que le massacre de l’hôtel de ville à Paris, épisode important sur lequel M. Feillet, par parenthèse, nous a donné de très nouveaux détails. Il ne faut pas oublier non plus quelle était encore en France la rudesse des mœurs générales, même au temps de l’hôtel de Rambouillet et des premières précieuses; l’ours que Voiture, je crois, fit monter un jour dans le salon de Julie d’Angennes, suivant le récit de Tallemant des Réaux, en est le naïf symbole. Aussi, la guerre civile lâchant la bride, les années que M. Feillet a choisies sont-elles particulièrement un temps de désolation, surtout pour les campagnes. « Les troupes de tous les partis, dit M. Walckenaër, mal payées, mal nourries, pillaient, brûlaient, saisissaient les deniers publics, dévastaient les campagnes, rançonnaient les cultivateurs, et produisaient partout où elles séjournaient une misère extrême et une hideuse famine. Des bandes de malheureux abandonnaient leurs habitations et suivaient l’année du roi en demandant du pain; la cour vit plusieurs fois sur son passage des hommes mourant de faim et des enfans tétant encore sur le sein de leurs mères, qui venaient de rendre les derniers soupirs. La reine, fortement émue, disait que les princes et les parlemens répondraient devant Dieu de tant de calamités, oubliant ainsi la part qu’elle y avait elle-même. Les Espagnols s’avançaient sur nos frontières et entraient en France comme alliés du prince de Condé, mais dans la réalité pour profiter de nos divisions... »

Tels étaient les maux épouvantables qu’enfantait la guerre civile, doublée de l’intervention étrangère et compliquée encore des suites funestes d’une immense et sanglante guerre qui, pendant trente années, avait soulevé.