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agité, mêlé tant d’éléments discordons et impurs. Tel est le tableau déjà connu auquel M. Feillet a ajouté , des traits d’une réalité navrante; mais en vérité comment l’administration royale aurai-elle pu, surprise dans un tel moment, se montrer partout obéie? Un bon nombre de ces malheurs n’était assurément pas de son fait, et il fallait lui donner le temps de continuer l’œuvre d’Henri IV et de Sully. — Colbert et Louvois la reprendront, cette œuvre, non sans énergie et non sans succès. Sur ces vicissitudes de l’administration française, il est vrai, M. Feillet ne se prononce pas, se réservant sans doute pour de prochaines publications : il nous dit seulement ici que le XVIe siècle avait été beaucoup plus favorable à la prospérité intérieure de la France; mais en vérité cela aurait besoin d’explications, quand on songe que les mêmes causes auxquelles il attribue le mal ultérieur. comme la puissance de la noblesse par exemple, paraissent avoir dû être beaucoup plus énergiques alors, sans parler de l’horrible fléau des guerres religieuses. M. Feillet juge sur le seul examen de la période de la fronde; encore une fois, ses argumens auraient beaucoup plus de force, s’il eût choisi une période paisible, exempte de toute cause de trouble extérieur, et qu’il eût prouvé que même alors subsistaient des causes de désordre irrémédiables et absolument inhérentes au système de l’ancienne monarchie. Le raisonnement certes porterait coup, s’il ôtait au lecteur, après un examen loyal et sévère des réformes de Sully, de celles de Richelieu et de Colbert, toute espérance d’un meilleur avenir pour cette pauvre vieille France en dehors de la révolution. Dans son troisième chapitre, M. Feillet examine les principes de l’ancienne administration française, ainsi que les obstacles qu’elle rencontrait, et c’est là qu’il est bien dans son sujet. Traitant du système économique de l’ancien régime, des causes multipliées de la misère, — organisation fâcheuse de la propriété foncière, redevances féodales et ecclésiastiques, impôts royaux, entraves à l’industrie, ordonnances de la gabelle, — ce chapitre est le fond même du livre, et personne ne se fût plaint si l’auteur lui avait donné encore plus d’étendue.

Les réserves que nous venons de faire nous permettent de considérer maintenant sans aucune autre préoccupation le tableau qu’a tracé M. Feillet, et de montrer l’intérêt qui s’y attache, quelque sentiment qu’on ait sur la thèse qu’il se propose de soutenir. Le fond en est, comme nous avons dit, la misère profonde étudiée dans les documens les plus imprévus avec un soin minutieux. Ce travail entraîne l’auteur dans l’analyse de beaucoup de circonstances qui nous révèlent pour la première fois le mécanisme de plusieurs institutions mal connues. Sur ce fond d’ailleurs, M. Feillet a dessiné avec beaucoup de relief, soit des épisodes de la guerre civile, soit des figures pleines de vie et de couleur. Dès 1650, une société se forme spontanément, mi-partie parlementaire, mi-partie janséniste, pour organiser la bienfaisance avant saint Vincent de Paul, les curieux détails que donne l’auteur à ce sujet sont toute une page inédite de l’histoire de Port-Royal. Et puis saint Vincent de Paul arrive, qui, avec son armée charitable de missionnaires et de filles de la charité, se substitue à l’œuvre janséniste et parlementaire. Ainsi s’exprime du moins M. Feillet. Saint Vincent de Paul n’a pas eu, à l’en croire, l’initiative de cette assistance publique; il le dit formellement : « cet honneur doit remonter, assure-t-il. à un