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croyable variété de réunions joyeuses. Le carnaval s’était mis en tête de venir, lui aussi, prendre ses ébats dans cette foule, qui, par la bigarrure de ses costumes, semblait de tout temps le reconnaître pour roi. Il se mit à tenir des séances nocturnes au théâtre d’Alger. Ce ne fut point seulement l’essaim des courtisanes juives, espagnoles et mauresques qui se précipita dans les premiers bals masqués de la colonie : la réserve des armées galantes, le corps d’élite des femmes qui vont en conquête sous le pavillon conjugal, réclama sa part de ces fêtes. Tandis que les jeunes officiers, affublés des travestissemens les plus imprévus, conduisaient dans la salle des danses bruyantes comme des batailles, des femmes discrètement exaltées se tenaient au fond des loges, suivant du regard et de la pensée les rondes d’où leurs pieds seuls étaient exclus.

Un de ces Biskris qui jouent un rôle si actif sur le port, dans les rues d’Alger, saisi tout à coup d’un transport imprévu de foi musubnane, avait quitté le lieu de son industrie pour aller rejoindre Abd-el-Kader. Le matin même, on l’avait engagé dans le bataillon de Laërte, et il était devenu près de son nouveau commandant ce que l’on appelle en termes militaires « une ordonnance. » Zabori, à l’instant où le hasard lui avait envoyé cette recrue, venait de perdre le nègre qui, depuis son passage dans les rangs des infidèles, remplissait auprès de lui les fonctions du curé Mérino. Il accepta donc avec empressement les services du Biskri, sorte de Figaro arabe, et au bout de quelques instans il était avec ce serviteur en très grande familiarité.

Le soir dont nous parlons, le Biskri, tout en nettoyant une paire de pistolets, se mit à raconter à son maître, avec l’exagération orientale, les joies bruyantes d’Alger. Un officier qui avait vécu longtemps loin des villes prétendait que, même dans le désert, il connaissait, sans avoir recours à aucun calendrier, l’arrivée du dimanche. « Une influence particulière règne dans l’air ce jour-là, disait-il; c’est à la fois quelque chose de doux, de rêveur et d’implacablement triste. — L’ennui dominical existe. Holbein l’a peint avec l’admirable puissance de son talent sur le visage de je ne sais quel prélat anglais. A côté de cet ennui dont il oppresse certains hommes, le jour férié évoque mille sentimens d’un charme naïf et profond. Il est pendant une semaine entière l’espoir de tous ceux qui regardent la famille et l’église comme deux maisons dorées; mais, par cela même qu’il a été une espérance, par cela même qu’il est un bonheur, ce jour apporte à ceux dont il est le plus sincèrement aimé cette rêverie un peu triste qui est l’ombre des choses célestes dans nos cœurs. De toutes ces causes naît donc la mélancolie d’une espèce particulière qui le dimanche part du clocher des