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ces titres, l’Angleterre, qui nous avait repris l’Espagne et le Portugal, qui avait poussé ses armées jusque dans le midi de la France et détruit notre marine militaire, qui nous avait partout suscité des ennemis, et pour les payer avait si fortement engagé ses finances, l’Angleterre, dis-je, se croyait en droit de demander beaucoup, ou, pour mieux dire, elle avait eu soin de s’adjuger à l’avance la part du lion. Outre les colonies prises à la France pendant la guerre, et dont le traité de Paris lui avait assuré l’abandon, l’Angleterre détenait le Cap de Bonne-Espérance, enlevé à ses alliés actuels les Hollandais. Elle avait des garnisons à Malte, dans les Iles-Ioniennes, et prétendait bien ne pas les en rappeler. Munie de ces acquisitions nouvelles que personne ne songeait à lui contester, elle se croyait très modérée, parce qu’elle ne réclamait sur le continent qu’un insignifiant agrandissement pour le Hanovre. Elle soutenait de bonne foi, et non sans une certaine apparence de raison, qu’avec son lot tout réglé, dont elle était déjà en possession, elle ne pouvait être soupçonnée d’aucune vue intéressée. Ses représentans aimaient à vanter leur naturelle impartialité, bien supérieure, disaient-ils, à celle des ministres de la Russie, de la Prusse ou de l’Autriche, qui avaient tout à perdre ou à gagner dans le partage qui restait à faire des provinces du centre de l’Allemagne. Ils annonçaient donc bien haut qu’ils étaient résolus à ne tenir compte, dans la distribution des territoires, que des intérêts généraux de l’Europe et des nécessités de l’équilibre continental. À ce point de vue, ils n’hésitaient pas à déclarer que le principal objet du congrès devait être de former sur le Rhin une solide barrière capable de contenir la France à l’est, comme au nord elle allait être contenue par la réunion arrêtée déjà de la Belgique à la Hollande. Pour obtenir un résultat si cher à la politique anglaise, ils consentaient à augmenter considérablement les forces de la Prusse. Si cela était nécessaire, ils étaient même prêts à livrer sans scrupule à l’heureux successeur du petit électeur de Brandebourg tous les états formant depuis des siècles l’apanage héréditaire de la maison de Saxe.

Par tradition, par habitude et par goût, le cabinet britannique n’était pas moins favorable à l’Autriche, son antique alliée, qu’à la Prusse, avec laquelle ses relations plus récentes étaient devenues si intimes. Son plan favori était alors de lier fortement ensemble ces deux puissances, non-seulement afin de les mettre en état de résister à la France, mais aussi pour les soustraire à une autre influence, déjà non moins redoutée, celle de la Russie, dont la grandeur croissante commençait à inspirer de l’autre côté de la Manche cette vague méfiance et ces terreurs exagérées, qui depuis n’ont jamais cessé de s’accroître sans jamais se justifier complètement. L’Angleterre était représentée à Vienne par quatre plénipotentiaires :