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thie profonde. On était généralement choqué de voir l’empereur Alexandre, s’érigeant en maître, prendre un ton et des manières de commandement qui rappelaient trop celles de Napoléon après ses plus éclatantes victoires. Les généraux russes et prussiens blessaient encore plus les amours-propres en se permettant vis-à-vis de leurs anciens alliés des fanfaronnades que ceux-ci n’avaient jamais entendues sortir de la bouche des officiers français, quand nos armées avaient occupé leurs capitales conquises. L’empereur d’Autriche, à qui Alexandre avait voulu en appeler contre la sourde opposition de M. de Metternich, lui avait doucement donné à entendre qu’il valait mieux pour les souverains laisser traiter leurs affaires par leurs ministres. Il y avait en Allemagne une réaction évidente contre la Prusse et la Russie. A Londres même, et parmi les membres du parlement, on commençait à s’émouvoir. Lord Castlereagh, ministre responsable d’un souverain constitutionnel, était obligé de tenir compte de ce mouvement de l’opinion, et se mettait à son tour tardivement en ligne contre l’empereur Alexandre; mais la crainte de paraître marcher d’accord avec la France le préoccupait toujours. Le cabinet des Tuileries, en s’opposant aux projets russes en faveur de la Pologne, avait en termes nobles et dignes fait la réserve expresse \les droits de cette antique nation.


«De toutes les questions qui doivent être traitées au congrès (disaient les instructions remises à M. de Talleyrand), le roi aurait considéré comme la première, la plus grande, la plus éminemment européenne, et comme hors de comparaison avec toute autre, celle de la Pologne, s’il eût été possible d’espérer qu’un peuple si digne de l’intérêt de tous les autres, par son ancienneté, sa valeur, les services qu’il a rendus autrefois à l’Europe, et par son infortune, pût être rendu à son antique et complète indépendance. Le partage qui le raya de la liste des nations fut le prélude, en partie la cause et peut-être jusqu’à un certain point l’excuse des bouleversemens auxquels l’Europe a été en proie... »


Par suite de sa constante préoccupation de toujours dire autrement que la France, par suite aussi de sa répugnance pour les idées libérales dont les ministres de l’Angleterre étaient bien éloignés de se faire les champions, lord Castlereagh, alors très coulant sur le chapitre de la Saxe, entreprit par écrit une controverse en règle avec l’empereur Alexandre au sujet de la Pologne. Dans un langage rude et presque acerbe, il s’attachait à démontrer « que l’acquisition du duché tout entier ou même de la majeure partie de cette province donnerait à l’empereur russe une supériorité de forces dangereuse pour les deux puissances voisines et pour l’équilibre européen. Il signalait comme une menace permanente contre la paix générale et la tranquillité intérieure de l’Autriche et de la Prusse l’invitation faite aux Polonais de se rallier autour de l’empe-