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plus douces du bois. Il faisait beau. Elle en revint ranimée, rien que pour avoir respiré la senteur des chênes dans de grands abatis chauffés par un soleil clair. Elle rentra méconnaissable, presque avec des rougeurs, tout émue d’un frisson fiévreux, mais de bon augure, qui n’était que le retour actif du sang dans ses veines appauvries. J’étais consterné de la voir renaître ainsi pour si peu, d’un rayon de soleil d’hiver et d’une odeur résineuse de bois coupé, et je compris qu’elle s’acharnerait à vivre avec une obstination qui lui promettait de longs jours misérables.

— Parle-t-elle quelquefois d’Olivier ? demandai-je à Madeleine.

— Jamais.

— Elle pense à lui constamment ?

— Constamment.

— Et cela durera, vous le croyez ?

— Toujours, répondit Madeleine.

Aussitôt affranchie du trop réel souci qui depuis trois semaines l’attachait au chevet de Julie, Madeleine eut l’air de perdre tout à coup la raison. Je ne sais quel étourdissement la prit qui la rendit extraordinaire et positivement folle d’imprévoyance, d’exaltation et de hardiesse. Je reconnus ce regard foudroyant d’éclat qui m’avait appris le soir du théâtre que nous étions en péril, et portant toutes choses à outrance, morceau par morceau, elle me jeta pour ainsi dire son cœur à la tête, comme elle avait fait ce soir-là de son bouquet.

Nous passâmes ainsi trois jours en promenades, en courses téméraires soit au château, soit dans les futaies, trois jours inouïs de bonheur, si le sentiment de je ne sais quelle enragée destruction de son repos peut s’appeler du bonheur, sorte de lune de miel effrontée et désespérée, sans exemple ni pour les émotions ni pour les repentirs, et qui ne ressemble à rien, sinon à ces heures de copieuses et funèbres satisfactions pendant lesquelles on permet tout aux gens condamnés à mourir le lendemain.

Le troisième jour, elle exigea, malgré mes refus, que je montasse un des chevaux de son mari. « Vous m’accompagnerez, me dit-elle ; j’ai besoin d’aller vite et de me promener très loin. » Elle courut s’habiller, fit seller un cheval que M. de Nièvres avait dressé pour elle, et, comme s’il se fût agi de se faire audacieusement enlever devant ses domestiques en plein jour : « Partons, » me dit-elle.

À peine arrivée sous bois, elle prit le galop. Je fis comme elle, et je la suivis. Elle hâta le pas dès qu’elle me sentit sur ses talons, cravacha son cheval, et sans motif le lança à fond de train. Je me mis à son allure, et j’allais l’atteindre quand elle fit un nouvel effort qui me laissa derrière. Cette poursuite irritante, effrénée, me mit hors de moi. Elle montait une bête légère et la maniait de façon à