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presque exclusivement (et sauf la faveur du comte de Bute) à l’éducation de sa nombreuse lignée. Celui d’entre ses huit enfans qui devait régner sous le nom de George III n’avait qu’une intelligence médiocre. Elle le maintint longtemps en lisière, et conserva toujours sur lui un ascendant qui plus tard devait la désigner à l’animadversion publique. Les deux premiers George ayant été « libres penseurs, » elle voulut donner au troisième et lui donna effectivement des principes religieux qui devaient, selon elle, l’accommoder au tempérament de la bourgeoisie anglaise. Elle fit de lui un brave gentleman-farmer, simple, candide, et contre lequel s’essayèrent en vain les plus coquettes et les plus belles, entre autres cette charmante Sarah Leanox, que l’historien romancier nous montre embusquée sur le passage du jeune prince et « fanant » à son intention les verts gazons de Holland-House : « Soupirant et dévoré de désirs, il poussait son cheval et s’éloignait. » Avec une jeune quakeresse, Hannah Lightfoot, le roman alla plus loin, et on prétend, mais on n’a jamais établi, qu’un mariage secret les unit. Quoi qu’il en soit, George III, un beau jour ayant lu par hasard une lettre sentimentale — sur les horreurs de la guerre et les bienfaits de la paix, — écrite en belle ronde et en beaux lieux-communs par la princesse Charlotte de Mecklembourg-Strelitz, se sentit attiré malgré lui vers cette honnête médiocrité qui, du fond de l’Allemagne, semblait lui tendre les bras. La demande en mariage arriva, comme un grand prix de thème, à la sage écolière, qui, ses malles faites, partit aussitôt pour aller s’embarquer sur le yacht royal. Elle avait sur le pont, pour charmer les ennuis de la traversée, un « clavecin » et un cahier de romances. Le roi, quand il vit sa petite fiancée, fronça légèrement le sourcil : il s’était attendu à plus de grâces et de beauté; mais après ce premier mouvement, et son parti une fois pris, il devint pour elle un époux exemplaire. Elle charmait leurs loisirs par sa musique naïve, où l’épinette alternait avec le clavecin. Ils dansaient sur l’herbe. La cour étonnée n’avait plus ni les « salons du dimanche, » où l’on jouait si gros jeu, ni les soupers aux flambeaux, d’où l’on sortait à pas vacillans. Puis, grande surprise, le roi aimait les arts, et, sans s’y connaître beaucoup, s’en déclarait le patron. Il voulait fonder un ordre de Minerve, spécialement destiné aux savans et aux littérateurs, ruban jaune pâle, étoile à seize pointes, lequel aurait son rang immédiatement après l’ordre du Bain; mais ce brave jeune homme, cet honnête mari, ce bon et loyal Anglais fut sans le savoir un roi désastreux. Au fond, il n’avait pas plus que son grand-père ou son aïeul la capacité requise pour gouverner l’Angleterre; mais eux du moins ne l’essayaient pas, tandis qu’il prit ses devoirs au sérieux, se crut en état de les remplir, et par sa maladroite intervention dans les affaires publiques, où il portait l’entêtement na-