Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

turel aux esprits bornés, les compromit gravement. Il héritait des préjugés bigots, des antipathies mal fondées de sa mère; il y joignait le courage têtu de ses ancêtres masculins. Tout homme supérieur lui était suspect. Il n’aima ni Fox, ni Chatham, ni Burke, ni, parmi les marins, Nelson, ni, parmi les peintres, Josuah Reynolds. Beattie fut son poète de prédilection, et tout naturellement il ne comprenait rien à Shakspeare; mais il se plaisait au théâtre, et pâmait de rire devant les clowns, les pantomimes grotesques, les farces violentes auxquelles se délecte la mob britannique. Sa mère le gouverna longtemps. « Soyez roi, George! » lui répétait-elle sans cesse, et pour lui obéir il s’efforçait de commander. Il résulta de cette volonté par ordre mille et mille fautes que l’histoire a dites et redites. Pour gouverner, il fallait arracher le pouvoir à l’aristocratie; pour lutter avec elle, il fallait mettre de son côté les préjugés populaires. De là la guerre avec l’Amérique, guerre faite d’enthousiasme; de là le déni de justice aux catholiques anglais, iniquité saluée par d’unanimes acclamations. Sur ces deux points, les patriciens furent vaincus, et les patriciens avaient raison ; mais le monarque avait pour lui sa conscience. Il se rendait à lui-même ce témoignage sincère de ne vouloir, de ne chercher que le bien du pays. Dès lors quiconque lui résistait devait être nécessairement un mauvais patriote, un méchant homme, un traître, un coquin. Pareils raisonnemens mènent loin, surtout quand l’homme qui les fait, sincèrement religieux, se croit investi d’une mission divine, quand il n’a qu’une intelligence très limitée, quand son éducation a été mal entendue et mal faite.

A mesure que l’ascendant aristocratique décroît, cependant les mœurs s’épurent. On joue moins, on boit moins, on se vautre moins dans ces sensualités grossières qui avaient envahi, comme une lèpre, la noblesse anglaise du XVIIIe siècle. Les Peterborough, les Carlisle, les Queensberry sont passés de mode. La cour donne de si bons exemples ! Sur les vertes pentes de Windsor, dans les jardins de Kew, voyez passer le roi, tenant par la main la petite princesse Amélie, sa fille favorite, enlevée si tôt! La reine suit, accompagnée de miss Burney, toutes deux en justes de mousseline blanche. Ils s’arrêtent au seuil des chaumières, causant avec l’un ou l’autre, sans acception de classe ni d’âge : ici avec un écolier d’Eton (qui sera Canning), là-bas avec le fermier John ou la boulangère Maggie. La générosité des califes d’Orient n’est pas le fait du « brave homme de roi; » mais au besoin il sait tirer une guinée de sa poche, ou bien suspendre au coin de la cheminée du cottage un bon quartier de viande subrepticement apporté: du reste, sans nulle morgue, familier avec les gentilshommes du voisinage, dînant fort bien chez tel ou tel, prenant le thé avec mistress Delany, affable et tout à